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Cette
rencontre leur avait été inspirée par la constatation
que l'histoire économique subit une vive désaffection, parmi
les médiévistes notamment, désaffection due peut-être
à un certain désarroi devant la nécessité de
renouveler les méthodes imprudemment quantitatives de jadis. Elle
se proposait donc de croiser les approches méthodologiques des historiens
médiévistes avec celles des anthropologues, des économètres
et des économistes. Le thème du marché de la terre
avait été choisi spécifiquement dans cette perspective
d'ouverture critique, parce qu'il est assez peu étudié par
les médiévistes, mais qu'il a été renouvelé
par les travaux de certains modernistes il y a une dizaine d'années
; il importait de rediscuter les points de vue et les résultats
de ces modernistes à la mesure des données des sources médiévales,
et de les enrichir de l'apport de disciplines connexes, qu'on pouvait pressentir
comme essentiel.
Dans
cette introduction générale, Monique Bourin rappelle
les enjeux et les cheminements historiographiques qui ont présidé
à l'organisation du colloque. En 1987, Chris Wickham avait
ouvert la voie en critiquant la notion de " marché " : ce concept,
si on le limitait à son acception habituelle, strictement économique,
semblait inadapté pour décrire la circulation marchande de
la terre à l'époque médiévale. Face à
cette interrogation, deux tendances apparemment contradictoires ont connu
des développements importants dans les dix dernières années
: elles ont largement opposé les historiens aux économistes
anglo-saxons.
Les historiens ont dans l'ensemble adhéré
à l'analyse de Wickham. À la fin des années quatre-vingt-dix,
aucun chercheur n'analyserait la circulation des terres en se référant
à une application simpliste de la loi de l'offre et de la demande.
Pourtant, il est possible que l'historiographie ait péché
par excès : à force de mettre en avant les aspects sociaux
et anthropologiques, les historiens n'ont-ils pas in fine trop négligé
les aspects économiques des échanges ? Surtout, il n'est
pas certain que, cédant à un écueil intrinsèque
de l'interdisciplinarité, les médiévistes ne soient
pas victimes d'une vision obsolète, schématique et simpliste
de la science économique. Indépendamment de cette tendance,
mais selon un chemin opposé, des économistes, américains
pour la plupart, ont investi le champ de l'histoire médiévale
ces dernières années. L'importation de modèles économiques,
qui impliquent la maîtrise des outils mathématiques, a été
alors souvent perçue comme un anachronisme. D'où les critiques,
souvent ironiques, effectuées par les historiens médiévistes
sur les travaux de ces spécialistes.
L'objet de la rencontre
des Treilles était de dépasser cette opposition stérile
: le temps semblait venu d'élargir le regard porté sur la
science économique sans néanmoins revenir sur une compréhension
complexe de la notion de marché, que seules les analyses historique
et anthropologique peuvent éclairer. Au-delà des condamnations
trop rapides, la mise en valeur de ces contributions méthodologiques
en histoire dépendait de la participation active d'économistes
et d'anthropologues professionnels au débat. L'intérêt
d'une confrontation des compétences apparaissait alors évident
: un travail continu d'une semaine semblait bien le meilleur cadre pour
un tel projet.
Conformément à cet objectif, le
colloque s'est déroulé en deux temps. Après une "
introduction à quatre voix " qui permettait à chacune des
disciplines (histoire, anthropologie,économie, économétrie)
de présenter ses réflexions liminaires, une première
partie des travaux présentait des rapports historiographiques régionaux
et une seconde des études de cas, avant que les conclusions ne permettent
d'ouvrir des perspectives de recherches futures.
La
" voix " des historiens s'incarnait dans celle de Laurent
Feller. Son introduction tentait tout d'abord de rejeter les apories
qui ont trop longtemps stérilisé le débat.
L'historien doit en particulier se prémunir d'une vision trop dogmatique
de la notion de " propriété ", qui interdirait de considérer
la possibilité d'une circulation marchande de la terre dans un monde
dominé par la seigneurie. Il apparaît en effet clairement
que la terre a fait l'objet d'une appropriation paysanne, même là
où elle n'est pas censée exister, comme le montrait Postan
dès les années 1960. La prise en compte de l'hypothèse
" marché de la terre " pourrait se révéler profitable,
alors que sa mise à l'écart a priori risquerait de constituer
une contre-performance. Et ce, d'autant que cette approche s'avère
profondément féconde : s'interroger sur la possibilité
qu'ont eue (ou que n'ont pas eue) les paysans de faire circuler les terres
qu'ils détiennent autrement que par héritages, revient aussi
à réévaluer la nature même de l'économie
paysanne et, par extension, celle de l'économie médiévale.
Le problème de la circulation des terres mène surtout à
la question essentielle de la rationalité économique. Dans
les sociétés médiévales, le statut de la terre,
au sein de la famille comme à l'échelle de l'ensemble de
la société, fait de sa vente un moyen d'établir ou
de renforcer le lien social. Dans ces conditions, le prix versé
ne saurait avoir une valeur uniquement économique. La prise en compte
de facteurs non économiques ne doit pas pour autant éloigner
l'économiste et ses outils. Ce n'est pas parce que les ventes disent
autre chose que ce qu'elles semblent dire que l'instrument statistique
n'est plus efficient au moins pour une part des différents éléments
qui les constituent. Utiliser de tels instruments comme le fait de poser
la question d'une rationalité économique médiévale
n'est pas par essence une démarche anachronique : pourvu qu'elle
intègre l'étude des conditions spécifiques de cette
rationalité, elle fait, au contraire, du marché de la terre
un lieu central de la recherche historique.
L'économètre
Jean-Pierre Florens allait abonder dans ce sens. C'est un mauvais
procès que de reprocher à l'économètre l'anachronisme
de ses modèles. Un modèle peut en effet intégrer ce
que les historiens considèrent comme non-économique. Pour
l'économiste, le marché existe toujours, même si il
n'est pas toujours un marché de concurrence. Contrairement à
ce qu'une vision simpliste suggérerait, il est tout à fait
possible de s'inscrire hors du cadre strict de " l'équilibre général
". Ainsi, le marché de la terre au Moyen Âge semble adapté
à une étude reposant en premier lieu sur la théorie
des jeux. Celle-ci est apte à décrire des échanges
entre un petit nombre de personnes et prend en compte la notion de stratégie.
Sur cette base, il est envisageable de construire des modèles reposant
sur des données apportées par les historiens. Ils ne constitueraient
pas une vision anachronique des sociétés médiévales
mais une formalisation mathématique du raisonnement habituellement
élaboré par l'historien. Afin d'illustrer son propos, Jean
Pierre Florens présentait aux participants une introduction générale
à l'économétrie qu'il serait vain de rapporter ici.
L'économiste
Agnès Gramain tentait également de dissiper des malentendus
liés pour l'essentiel à une vision trop réductrice
de la science économique. Il est évident que le marché
de la terre ne saurait s'inscrire dans un modèle de marché
de concurrence pure et parfaite. La notion de marché ne saurait
se limiter à ce modèle walrasien, présenté
par Agnès Gramain en détail aux participants, très
critiqué par les économistes eux-mêmes. En conséquence,
ainsi que le soulignait son prédécesseur, il est nécessaire
que les historiens se tournent vers d'autres tendances de la théorie
économique. Elle soulignait notamment l'intérêt de
la théorie des " prix hédoniques ", appliquée habituellement
aux objets précieux et à l'immobilier. Cette dernière,
à l'image de toutes les analyses fondées sur la théorie
des jeux, présente l'avantage majeur de se passer des cinq hypothèses
walrasiennes.
L'introduction
de
Florence Weber souhaitait s'inscrire dans une
perspective plus ethnologique qu'anthropologique. Sans chercher
à dégager des concepts universalistes, comme le prétendrait
une démarche héritée du structuralisme, elle souhaite
développer une approche centrée sur la prise en compte du
" discours indigène ", seul remède efficace contre l'ethnocentrisme.
De même sont rejetées les analyses issues de la théorie
du " grand partage " qui tendent trop souvent à considérer
les sociétés traditionnelles comme des antithèses
de la société occidentale contemporaine. Cette approche conduit
Florence Weber à émettre des réserves sur le recours
à l'économétrie, qui semble lourd de conséquences
: les mathématiques, comme tout langage extérieur au monde
observé, sont porteuses d'un ethnocentrisme, d'un anachronisme difficile
à maîtriser par le chercheur. Dans ce cadre, la notion de
marché n'est pas sans poser problème et il serait peut-être
préférable de retenir la " transaction marchande " comme
objet d'étude, en relation avec la question des rapports interpersonnels
et de leur rupture. Cette analyse est indissociable d'une réflexion
sur le don, considéré le plus souvent par les anthropologues
comme un anti-marché, ou comme un pré-marché. Contrairement
à la donation, la vente est censée rompre le lien personnel
entre le vendeur et l'objet, entre le vendeur et l'acheteur. Il demeure
fondamental néanmoins de s'interroger sur la pertinence de cette
affirmation qui est loin de constituer une évidence.
La première partie du colloque était
consacrée à la présentation d'une série de
rapports historiographiques dont le but était double. D'une part,
la définition du " marché de la terre " en tant qu'objet
d'étude étant relativement récente, il était
essentiel de dégager les acquis directs et indirects de la recherche
passée. D'autre part, il était important de distinguer ce
qui, dans les études scientifiques, relevait des spécificités
régionales du monde médiéval mais aussi des différences
induites par la diversité des écoles historiographiques nationales.
Le
rapport sur l'historiographie britannique de l'Angleterre médiévale
[Chris Dyer] montrait combien cette tradition nationale
fut précurseur sur le sujet. Elle s'y est intéressée
dès les années soixante. Depuis, la problématique
du marché paysan de la terre n'a cessé d'être développée
autour de deux grands axes de réflexions. Ainsi, la question classique
des origines du capitalisme, de l'existence de facto d'une propriété
paysanne, et donc d'une capacité à transacter malgré
les structures juridiques, a été fortement débattue.
Parallèlement, l'historiographie britannique s'est fortement polarisée
sur la question des comportements " chayanoviens ", c'est-à-dire
sur une régulation du marché par les cycles familiaux. Ces
travaux montrent combien les Britanniques ont, dès les années
soixante-dix, orienté leurs recherches vers les thématiques
essentielles du sujet comme la question de la propriété et
des motivations non directement économiques des acteurs économiques
médiévaux.
L'historiographie
nord-américaine [Paul Freedman], qu'il
n'est pourtant pas toujours facile de distinguer de l'historiographie britannique,
présente sur le sujet un visage fort différent et il faut
expliquer pourquoi de ce coté de l'Atlantique, le marché
de la terre a très peu retenu l'attention des historiens.
L'influence de l'école de Toronto et, d'une manière générale,
le primat d'une dichotomie opposant individualisme " moderne " et communauté
paysanne médiévale, n'ont pas aidé à la prise
en compte des phénomènes complexes régissant le marché
foncier. L'articulation entre pouvoir seigneurial et autonomie paysanne
a souvent - à Toronto en particulier - été traitée
de manière schématique et les questions de famille et de
transmissions ont été interrogées en dehors de toute
référence au système seigneurial. Enfin, bien que
l'école américaine d'inspiration anthropologique offre des
clés d'analyse des motivations non-économiques des acteurs
du marché de la terre, le plus souvent, ces travaux se sont détachés
des questions matérielles. Ils ne constituent donc que rarement
des éclairages sur notre sujet.
Le
terme de marché de la terre (Grundstücksmarkt) est totalement
absent de la littérature scientifique de langue allemande consacrée
au haut Moyen Âge [Ludolf Kuchenbuch]. Les relations étudiées,
envisagées sous l'angle des transferts de biens, sont vécues
comme bipolaires sans qu'une entité multilatérale ne se dégage.
Trois thématiques semblent pouvoir être distinguées
: les acquisitions seigneuriales, l'usage des terres au sein de la familia
et la possession bourgeoise de la terre.Si le marché de la terre
ne semble donc pas un concept opératoire au sein de la recherche
allemande, il est pourtant possible d'envisager des investigations en ce
sens. Les archives laissées par les grands monastères de
Francie orientale pourraient servir de base à une remise en cause
des catégories juridiques habituellement admises, notamment en ce
qui concerne les donations. Les obstacles sont nombreux pourtant. Les traditiones
ne fournissant par exemple que peu de prix. Des possibilités existent
pourtant pour l'étude d'un " marché " dans le cadre des procédures
de négociation.
Le
rapport consacré à la fin du Moyen Âge pour l'espace
germanique [Joseph Morsel] rejoint largement
les constats opérés pour la période antérieure.
On
serait en peine de trouver des développements sur le marché
de la terre tant dans les ouvrages classiques d'histoire rurale que dans
les principaux périodiques de langue allemande. Lorsqu'elle approche
ces thèmes, la recherche s'est essentiellement polarisée
sur l'étude de l'aristocratie et de la supposée crise agraire
de la fin du Moyen Âge. Pour leur part, les historiens de l'ex-RDA
concentraient leurs travaux sur l'apport du capital bourgeois au cœur du
féodalisme. Ainsi, les études de cas sur des villages qui
auraient permis d'étudier un éventuel marché de la
terre sont quasiment inexistantes. Il est pourtant possible de trouver
dans la littérature allemande des éléments pour une
histoire du marché foncier, notamment en ce qui concerne la place
respective du marché et des successions dans la circulation des
terres. De même, malgré l'absence de sources notariées,
une documentation existe pour entreprendre ce type de recherches sur l'Allemagne.
L'historiographie
de l'Italie [François Menant et Sandro
Carocci] a de longue date abordé des thèmes intéressant
l'histoire du marché de la terre, mais, en dehors de quelques pionniers
-présents pour la plupart à ce colloque - les historiens
de la péninsule l'ont souvent fait de manière indirecte.
Ainsi, les deux prismes d'études dominants en Italie peuvent informer
l'histoire du marché de la terre, en même temps qu'ils ont
pu constituer des freins au développement d'études spécifiques.
L'histoire rurale dominante, notamment l'école de Bologne s'est
beaucoup plus intéressée à l'histoire des contrats
agraires qu'à celle des transactions : l'objet central d'étude
était avant tout le pouvoir dans les sociétés rurales.
Une masse documentaire exceptionnelle est donc encore largement exploitable.
De même la prégnance de la question urbaine n'est pas sans
poser problème. L'historiographie est fortement " urbanocentrique
", ce qui oriente fortement la répartition géographique des
études. Mais surtout, l'analyse s'est largement polarisée
sur l'appropriation de la terre rurale par les citadins : la propriété
et les transactions paysannes ont été négligées.
Finalement, ce sont le plus souvent des étrangers
(Cf
infra les communications de W. Day, C. Wickham, L. Feller) qui ont
certainement le plus apporté à l'étude du marché
de la terre en Italie. De fait, la richesse de la documentation italienne,
comme les apports de l'historiographie permettent d'envisager des développements
scientifiques importants. L'étude des prix y est vraisemblablement
plus aisée que pour bien des régions d'Occident. La précocité
et la richesse des fonds notariaux ouvrent de vastes perspectives, dans
la mesure où les apports de l'historiographie seront intégrés
tout autant que réorientés. Dans la patrie de la micro storia,
les horizons potentiels d'études semblent donc considérables.
L'historiographie
de la Catalogne [Lluis To Figueras et Paul Freedman]
est, pour le haut Moyen Âge, profondément marquée par
la figure de Pierre Bonnassie. Cet auteur ayant considéré
l'existence d'une circulation massive d'alleux comme la preuve d'une liberté
paysanne généralisée, le marché de la terre
a été étudié comme un prisme marquant de la
société médiévale. Si pour le Moyen Âge
central et tardif, le marché prend plutôt la forme de cession
de tenure et d'emphytéose, il n'en a pas moins été
un objet d'étude important pour les historiens de la Catalogne.
Il est vrai que la richesse de la documentation catalane a permis, y compris
pour des périodes anciennes, des études sur les prix et les
comportements des acteurs sociaux dans le cadre de la transaction. À
cet égard, la référence aux logiques chayanoviennes
fut constante et, pour l'ensemble de la période médiévale,
la tradition marxiste est restée forte et l'analyse systémique
dominante. Le marché de la terre est donc très présent
dans cette historiographie, il n'est pourtant pas sûr que la domination
de la vente et de l'achat dans la circulation des terres ne doive pas être
remise en cause. Lorsque la documentation permet une étude fine,
on s'aperçoit en effet que de nombreuses transactions constituent
davantage des héritages masqués que des actes commerciaux.
Une mise en perspective critique de l'historiographie s'impose donc ; elle
sera aidée par une documentation exceptionnelle.
La
recherche semble s'être beaucoup moins intéressée au
thème du colloque pour les autres régions de l'Espagne
actuelle [Carlos Laliena Corbera]. L'historiographie
ne s'est pas totalement tenue à l'écart du problème,
mais elle s'est avant tout concentrée sur la question de la grande
propriété foncière : le marché de la terre
apparaît ainsi comme un problème marginal. Il est vrai également
qu'à l'exception de certaines régions, la documentation est
déficiente et que les recherches futures ne pourront se faire que
de manière très inégale dans les différentes
zones de la péninsule. Pourtant au travers des travaux déjà
réalisés, on peut dégager des éléments
propres à favoriser des études spécifiques. On trouve
des analyses de prix socialement déterminés grâce à
des recherches sur les liens de parenté et de clientèle.
De fait, l'attention portée à trois grands mouvements historiques
ont pu toucher indirectement la problématique du colloque : la constitution
des grands domaines fonciers, l'influence croissante des villes et la Reconquista.
C'est donc à partir de ces bases que pourra s'établir la
recherche future, en tentant de dégager les artéfacts historiographiques
et en gardant à l'esprit que l'état de la documentation a
aussi joué un rôle dans le faible développement des
études.
La
France méridionale [Monique Bourin] a longtemps
été délaissée par l'historiographie ruraliste
avant de devenir, au cours des vingt dernières années, un
terrain essentiel de la recherche française. Emmanuel Le
Roy Ladurie fut un des acteurs essentiels de ce retournement. Attirant
l'attention sur l'espace languedocien, il a surtout marqué son empreinte
par l'intégration de la dimension anthropologique dans l'analyse
de la société rurale. Ces travaux provoquèrent un
changement d'échelle d'observation et un basculement, jamais démenti
à ce jour, vers une anthropologie se détournant de l'économie.
Il n'y a donc pas à s'étonner que l'historiographie n'ait
pas fait du marché de la terre un objet d'étude autonome.
L'abandon des perspectives économiques, mais aussi la " tyrannie
de la famille ", de ses structures comme de ses conflits, ont joué
leur rôle. Pourtant, si un retournement historiographique s'opère,
la réduction de l'échelle d'analyse et le mode d'approche
par la famille peut nous rapprocher d'une étude du marché
où l'unité est la transaction. L'observation du marché
lui-même reste à faire, mais les recherches dont les apports
pourraient être très féconds existent : parmi elles,
l'étude des contrôles locaux ou seigneuriaux dans leur articulation
spatiale est vraisemblablement la plus prometteuse.
Pour
la France du Nord [Ghislain Brunel], l'historien
peine également à trouver des travaux spécifiques
sur le marché de la terre. Pourtant, certains pôles
d'intérêt de l'historiographie ont indirectement abordé
le sujet. Les recherches portant sur la démographie et les défrichements
sont celles qui font le plus souvent apparaître des études
sur les transactions et les prix. Même si les explications d'inspiration
démographique mènent souvent à des schémas
monocausaux, on y trouve parfois des réflexions éclairantes,
sur le choix des terres, par exemple. De même l'étude des
rapports entre villes et campagne, bien qu'elle ne concerne le plus souvent
qu'une partie limitée de l'espace rural, offre comme pour l'Italie,
des éléments de réflexion. Mais ce sont finalement
les analyses du système seigneurial qui peuvent être le plus
utile à une étude du contrôle juridique et social du
marché de la terre. L'examen des coutumes, de la justice foncière
pourrait être féconde pour le sujet, même si l'étude
spécifique du marché de la terre reste à faire.
Le
point de vue de Patrice Beck est sensiblement différent
: l'absence d'étude directement consacrée au sujet pour la
France moyenne ne doit pas faire oublier l'omniprésence du marché
de la terre dans l'historiographie de tradition blochienne. Le marché
est constamment implicite. Les études sur la seigneurie, sur l'aliénabilité
de la tenure ainsi que sur les rapports ville-campagne posent clairement
les jalons d'une recherche future. Deux auteurs peuvent être retenus,
compte tenu de leur influence actuelle.
Les travaux
de Guy Bois permettent en premier lieu d'aborder les rapports entre marché
et " crise du féodalisme ". Ceux de Barbara Rosenwein, grâce
à une réflexion sur la nature de la donation, ouvrent la
voie à une interrogation sur l'opposition entre une économie
du don fondée socialement sur le " service " et une économie
de marché. Par son lien avec l'anthropologie, Barbara Rosenwein
apporte une inspiration nettement nord-américaine, mais son livre
sur le réseau de voisinage de Cluny est désormais un classique
de toute étude bourguignonne, et bien au-delà. On rejoint
par là une interrogation essentielle sur le rapport entre monde
seigneurial et marché de la terre pour lesquels les études
passées offrent des analyses diachroniques fondatrices. Le rôle
de la seigneurie banale, par le biais notamment de la surimposition, dans
l'émergence d'un marché, est par exemple une des questions
auxquelles l'historiographie passée de la France moyenne est susceptible
d'avoir déjà en partie et indirectement répondu.
Concluant
la série de rapports historiographiques, la communication de W.
Day ne concernait pas l'étude d'une région particulière,
mais la présentation des recherches menées par trois économistes
anglo-saxons. L'étude de Townsend étudie l'économie
villageoise à l'aune de la micro-économie. Utilisant les
apports scientifiques les plus récents qui permettent d'étudier
des économies de l'incertain par le biais de la théorie des
jeux, il démontre que la fragmentation des terres, tout comme la
diversité des baux répondent à un comportement de
réduction des risques. L'ouvrage a, bien entendu, été
mieux reçu par les économistes que par les historiens qui
ont souligné les lacunes et les généralisations abusives
de Towsend. Jean-Pierre Florens insistait néanmoins, au cours des
discussions, sur la fragilité de ces critiques. Il n'est pas pertinent
selon lui de critiquer une analyse d'économiste sur la qualité
de ses hypothèses fondamentales, de ses " faits stylisés
". Il est en effet très simple de les modifier. En revanche, le
modèle d'équilibre général rencontre en effet
certaines limites qui le rendent vraisemblablement problématique
pour une application au village médiéval. Le recours à
la théorie des jeux permet cependant de pallier ces problèmes
en grande partie.
Persson s'inscrit quant
à lui dans une perspective macro-économique. De manière
classique, il s'interroge sur le rôle des différents agrégats
dans la croissance économique médiévale. Il étudie
notamment l'importance du progrès technique mais aussi de la croissance
démographique à laquelle sa démonstration donne une
place essentielle. Il est à noter que cette démarche rejoint
largement certaines recherches historiques passées qui trouvent
ici un développement mathématiquement formalisé.Le
dernier ouvrage, celui d'Hoffmann, fait appel à la troisième
grande partie de la science économique. Il s'agit en effet d'une
analyse économétrique classique de la production, visant
à une étude des différents facteurs de production
et de l'évolution de la productivité totale. Ici encore,
on peut identifier des objets historiques qu'ont pu connaître historiens
médiévistes et modernistes. Les ouvrages présentés
offrent donc des études utilisant l'ensemble des instruments de
la science économique actuelle, et si une vigilance à l'égard
d'un éventuel danger d'anachronisme est nécessaire, la formalisation
mathématique semble pouvoir être un moyen d'investigation
et de compréhension important dans l'avenir. Si l'on excepte quelques
régions favorisées, force est de constater le faible nombre
d'études consacrées spécifiquement au marché
de la terre médiévale. Pourtant l'ensemble des rapports historiographiques,
dont les conclusions se rejoignent largement insistent sur deux points
principaux qui tendent à établir un constat optimiste sur
les potentialités de recherches. Le terrain n'est pas vierge, l'historiographie
passée ayant souvent traité de manière indirecte des
thématiques riches d'enseignement pour le sujet de ce colloque.
En outre, les sources ne semblent pas faire défaut et, pour l'ensemble
de l'Occident, les différents rapporteurs ont souligné les
possibilités offertes par les fonds médiévaux. Il
n'y a finalement pas à s'étonner, encore moins à se
plaindre, de la modestie des études passées : elle ne fait
que souligner le caractère novateur d'une étude des sociétés
médiévales centrée sur le marché de la terre.
Le colloque réunissait un nombre important de figures pionnières
en ce domaine et la seconde partie de la semaine était consacrée
à l'exposition d'études de cas qui devaient, au-delà
de leurs apports propres, servir de base à la mise en place d'un
programme de recherches futures.
La première des études
de cas [Philipp Scofield] était consacrée au marché
paysan de la terre dans le Sud-est de l'Angleterre aux environs de 1300.
L'analyse se fonde essentiellement sur le dépouillement de court
rolls manoriaux de la région ainsi que d'autres types de sources
incluant des chartes paysannes. Au-delà d'une certaine homogénéité
du système manorial, on constate des différences notables
de situations entre les différences seigneuries. La taille et le
nombre de parcelles en circulation varient notablement d'un manoir à
l'autre. Une étude des contextes sociaux économiques et démographiques
permet de s'interroger sur les causes de ces différences. L'analyse
tente ainsi de faire la part du rôle joué par certains pôles,
de certaines institutions de la Common Law et des comportements seigneuriaux.
Les facteurs démographiques et les comportements de type chayanovien
n'apparaissent pas déterminants parmi les motivations paysannes
de recours au marché Cela dit, la nature et l'origine de la documentation
limitent fortement l'étude de ces mêmes motivations : les
court
rolls sont rédigés pour le seigneur qui se préoccupe
de son profit, et pas du marché paysan de la terre. Un tel contexte
documentaire constitue donc un obstacle majeur quant à l'appréhension
des stratégies sociales qui assurent la mise en place d'une logique
de marché.
L'étude des domaines de l'évêché
de Winchester avant la Peste noire [Mark Page] aborde la question essentielle
de la nature du marché de la terre et de son corollaire, la propriété
paysanne au sein du cadre manorial anglais. Les pipe rolls de Winchester
ont enregistré plus de 36 000 paiements de droits de mutation (entry
fines) entre 1263 et 1349. Ces sources apportent la preuve d'une stratégie
seigneuriale de contrôle lucratif sur les mouvements de terres contraires
au moins en partie aux coutumes. Par là même, ces transactions,
dont seule une part peut relever d'un éventuel " marché ",
sont légitimées : elles attestent d'une évidente souplesse
des structures juridiques du cadre manorial. Il faut pourtant nuancer la
vision d'une libre disposition de la terre par les paysans qui mènerait
à penser qu'au sein de la seigneurie, tout se passe comme si les
tenanciers étaient des propriétaires pleins et entiers de
leur terre, des acteurs à part entière d'un libre marché.
On notera tout d'abord que le mode dominant de circulation est de loin
l'héritage, mais surtout les exemples présentés ne
relèvent généralement que de cessions limitées,
notamment dans le temps, qui relèvent plus de la location que de
la transaction. Cependant des concessions à très long terme
de parcelles issues de la tenure existent bel et bien et sont validées
par le seigneur. Pourtant les structures seigneuriales permettent aussi
des remises en cause de ces cessions. Ces retours en arrière sont
le résultat d'une volonté du seigneur de limiter fragmentation
et accumulation, mais aussi d'une volonté paysanne de recouvrer
des terres aliénées, le plus souvent par leurs ascendants.
Le système manorial est bien l'élément structurant
de ce marché de la terre même si l'existence attestée
de circulation non-enregistrée par les rolls suggère
qu'un marché existait hors du contrôle direct de l'évêque
: il ne faut pas oublier que par définition l'image renvoyée
par le miroir des sources seigneuriales ne peut-être que celle d'un
flux contrôlé.
La
communication consacrée à la Toscane et plus particulièrement
aux régions de Lucques et Florence [William R. Day et Chris Wickham]
abordait deux types de facteurs informant le marché de la terre
: la géographie et le statut social des contractants.
Bien que les problèmes monétaires
et métrologiques ne laissent pas de compliquer la tâche de
l'historien, l'étude géographique du Contado permet de montrer
l'influence de la distance aux marchés agricoles sur le prix de
la terre. La distance à la cité joue également un
rôle dans l'implication différentielle des urbains dans le
marché foncier. L'influence urbaine ne se limite donc évidemment
pas à la fonction commerciale, même si les corrélations
entre prix de la terre rurale et prix des céréales montrent
que l'appropriation par les citadins n'est pas seule en cause. Globalement
le poids de la ville est essentiel et croissant : il contribue fortement
à la hausse des prix de la terre, et ce, d'autant plus que les parcelles
sont proches de la cité. L'étude du marché foncier
de Tassignano permet d'apprécier l'influence de la présence
ecclésiastique. On remarque en effet que les prix sont forts différents
lorsque des laïcs vendent à leurs pairs et lorsqu'ils vendent
à des institutions ecclésiastiques pour lesquels les prix
sont beaucoup plus élevés. Le phénomène se
retrouve de manière moins nette pour d'autres localités,
mais une tendance générale semble décelable, démontrant
dans ce marché foncier des facteurs politico-sociaux qui s'ajoutent
aux déterminants strictement économiques.
L'étude consacrée
à la Catalogne des XIe-XIVe siècles [Lluis To Figueras] offrait
un nouveau regard sur le développement d'un marché de la
terre au sein d'un cadre seigneurial. Le début de la période
est caractérisé par la disparition des alleux. La circulation
des parcelles étudiées est donc celles des tenures, qui n'étaient
pas censées circuler. L'histoire de cette période est pourtant
bien celle d'un marché des tenures régulé par des
seigneurs qui en tirent profit, après avoir vainement tenté
de l'interdire. C'est en effet au XIIe siècle, à partir de
l'exemple qu'ils avaient développé en milieu urbain, que
les seigneurs ont mis en place les lods et ventes : ils leur permettent
d'effectuer un prélèvement plus lucratif que le simple cens
et ils offrent simultanément l'occasion d'imposer des institutions
qui contribuent à contrôler le marché foncier. Des
boni homines garantissent ainsi normalement le payement d'un juste prix
en même temps que le seigneur conserve à la fois un droit
de préemption, et un droit de regard sur la solvabilité des
transactants qui sont leurs dépendants. Dans ce cadre, un comportement
paysan " à la Giovanni Levi " qui surévalue le prix d'une
terre lorsqu'elle est cédée à un parent est très
peu probable étant donné le poids considérable des
droits de mutations. Ce poids montre d'ailleurs combien le seigneur cherchant
à tirer profit du marché, demeure avant tout dans une logique
de contrôle et ne cherche pas à priori à développer
la circulation. Le paradoxe de la Catalogne est d'ailleurs qu'avec des
taux de prélèvement sur les mutations élevés,
le marché devrait être étouffé. Il ne l'est
pourtant pas, même s'il faut peut-être se garder de surévaluer
son ampleur.
Cette place du marché
dans le fonctionnement de la société rurale était
au cœur de l'étude consacrée à l'Aragon [Carlos Laliena
Corbera]. Les sources notariales permettent de constater une place très
réduite des achats et ventes dans la circulation des terres grâce
à une démarche comparatiste opposant deux cas dont l'un subissait
l'influence urbaine. Dans le cas proprement rural, on assiste à
un marché paralysé vraisemblablement en raison de l'importance
considérable de la propriété ecclésiastique
et seigneuriale aragonaise et de son mode de gestion. De fait le marché
foncier est pris dans un étau entre une disponibilité de
terre limitée à la vente et une offre d'affermage au contraire
abondante et avantageuse. Dans ce cadre, les cessions de terres par les
paysans relèvent plus du problème de l'endettement que d'une
logique marchande : de nombreux remboursements de dette prennent la forme
légale d'une vente. Ici encore le modèle " à la Giovanni
Levi " ne semble pas opératoire.Pour le second cas présenté,
l'influence urbaine semble engendrer un marché moins atone. Pourtant,
l'urbanité nuance plus la situation qu'elle ne la modifie réellement
et il semble possible de parler d'un " modèle méditerranéo-intérieur
" où la présence du marché de la terre est apparemment
très restreinte. De même l'étude de quelques patrimoines
semble dégager une tendance à la stabilité : les stratégies
d'accumulation semblent très rares (contrairement à la région
de Valence par exemple). Il y a donc comme un paradoxe pour l'historien
dans cette région équilibrée, connaissant une croissance
commerciale remarquable et qui continue de connaître un marché
de la terre très médiocre. L'étude de cette dissymétrie
est certainement une voie d'avenir pour la compréhension de ces
sociétés rurales de la fin du Moyen Âge.
La dernière étude
de cas présentée [Agnès Gramain et Laurent Feller]
est, à de nombreux égards, pionnière. Fruit d'une
coopération inédite, elle visait à " revisiter les
Abruzzes ", à reprendre à la lumière des instruments
de la théorie économique, les recherches entreprises par
le médiéviste sur le marché de la terre de cette région
d'Italie centrale. Alliant formalisation mathématique et analyse
historique des sources, cette démarche est apparue susceptible de
dépasser l'opposition entre économistes et historiens. L'étude
du médiéviste permet d'établir deux éléments
essentiels à la pertinence de l'analyse statistique. Elle a en effet
démontré la fiabilité d'une source, le cartulaire
de Casauria (fin du XIIe siècle), et son homogénéité
qui autorise un traitement statistique. Contrairement à de nombreux
cartulaires, il n'est pas le fruit d'une reconstruction tardive, de sélections,
de falsifications mais reflète du plus près qu'il est possible
la stratification des archives dans leur diversité et leur complexité.
L'analyse historique a permis la différenciation de trois périodes
très hétérogènes qui seule a pu rendre intelligible
le traitement économétrique (850-870, 870-900, 950-1050).Étape
cruciale, le " nettoyage du fichier " a permis d'exclure des séries
de ventes retenues, les cas aberrants qui auraient pollué l'analyse
statistique. De manière rassurante, le médiéviste
constatait que ces ventes atypiques étaient bien pour l'historien
des cas particuliers que l'on pouvait donc légitimement éliminer
d'une étude générale tout en les retenant pour une
analyse spécifique. De fait, ce qui constitue un " nettoyage " pour
le statisticien est pour le médiéviste un tri qui lui permet
de distinguer les transactions statistiquement représentatives des
transactions historiquement significatives. Le modèle économétrique
standard appliqué par l'économiste apporte des informations
très instructives : il établit la part respective des différentes
cultures dans la formation du prix de la terre et démontre la variation
du prix de l'unité de surface en fonction de la surface vendue.
Plus encore, il semble prouver l'existence d'une monétarisation
profonde de la société au sens où les contractants
semblent maîtriser l'équivalence monétaire des moyens
de paiement. Sans avoir remis en cause les premières analyses de
l'historien, la puissance interprétative du modèle économétrique
semble incontestablement démontrée.
Cette dernière étude de cas présentée,
la voie était ouverte aux conclusions.
La
première [François Bougard] en même temps qu'elle revenait
sur les travaux de la semaine, tentait de faire un parallèle avec
la problématique développée par l'École Française
de Rome sur les" transferts patrimoniaux " au haut Moyen Âge. Il
apparaît ainsi que l'interrogation sur le marché de la terre
permet d'envisager une approche critique du modèle dominant reposant
sur la notion de " don " Le primat de la famille, la tradition historiographique,
les sources tendent en effet à faire de la donation le mode normal
de la transmission médiévale. Or cette attitude revient à
sous-évaluer l'importance de la transaction marchande dont l'existence
est pourtant réelle. Étudier en détail le fonctionnement
du marché de la terre permet donc de revenir sur cette question
essentielle. Il est nécessaire de reprendre les sources pour y dégager
la place des transactions, sans bien sûr oublier que la vente cache
souvent des transferts de natures différentes. Les approches juridiques
et sociales doivent ici se combiner pour tenter de percevoir la complexité
des échanges.
La
seconde conclusion [Chris Wickham] revenait sur ce point, soulignant que
les travaux de cette semaine avaient montré qu'il est souvent artificiel
d'opposer commercial et non-commercial. Si les sources semblent
entremêler ce que nous considérons comme deux types de mutations,
c'est aussi parce que leur stricte distinction est certainement anachronique.
Cette réflexion ne peut se fonder que sur une approche historiographique
critique. Répondant à cette nécessité, la première
partie du colloque a montré la diversité des situations entre
les différentes traditions nationales. Il apparaît clairement
que seules l'Angleterre et la Catalogne ont donné lieu à
de nombreuses études sur le marché de la terre. Dans les
autres pays, à l'exception de quelques pionniers, le problème
est resté largement négligé par les médiévistes,
même si les différentes traditions historiographiques régionales
ont ouvert des voies dans cette direction.La réflexion se concentre
au niveau paysan, ce qui ne signifie pas au niveau des paysans, bien d'autres
acteurs sociaux intervenant à ce niveau. Ces premières études
permettent surtout d'orienter la réflexion sur le but même
de cette recherche : que voulons nous savoir ? Pourquoi étudions-nous
le marché de la terre ? Donner un sens à des faits économiques
est certainement un des objectifs premiers. Mais, au-delà du simple
fonctionnement de la circulation foncière, et compte tenu de la
place éminente de la terre dans les sociétés médiévales,
la problématique du marché de la terre constitue un véritable
prisme pour l'histoire sociale du Moyen Âge.
La discussion finale permettait
aux participants de cerner le champ des études à venir. A
partir des exemple proposés, six protocoles d'étude , objectifs
et méthodes, ont été définis qui permettront
de poursuivre, dans les trois années à venir, les voies ouvertes
aux treilles : bien évidemment à partir des Court Rolls anglaisà
partir de registres notariaux ; à partir des origines de la fiscalité
sur les mutations seigneurialesà partir des données des comptatilités
seigneuriales; par le traitement statistique sur des données sérielles,
selon le modèle présenté pour les Abruzzes par les
dossiers des mutations d'un bien, qui réunissent les chartes précèdant
l'entrée de ce bien dans le patrimoine ecclésiastique , les
archives y entrant, en même temps que le bien. La discussion finale
permettait aussi de revenir sur l'objectif central de cette rencontre,
la confrontation entre historiens, économistes et anthropologues
en même temps qu'elle tentait de proposer des perspectives d'avenir.
La durée du colloque
a été sans aucun doute un élément essentiel
au développement d'une intercompréhension entre les spécialistes
des différentes disciplines. Ainsi, les économistes et les
anthropologues ont pu progressivement pénétrer le vocabulaire
et les problématiques propres à l'histoire médiévale
pendant que les médiévistes pouvaient se convaincre de l'importance
des apports potentiels des deux autres disciplines. Il est ainsi clairement
apparu que le recours aux techniques économétriques et, plus
généralement, économiques, devait faire l'objet d'un
développement futur. Les économistes ont pu apprécier
la qualité surprenante des sources médiévales pour
ce type d'exploitations. Le regard anthropologique a permis de mettre en
garde contre les dangers que recèle pourtant cette démarche.
Comme tout langage, la formalisation mathématique est potentiellement
porteuse d'une déformation ethnocentrique. Cependant Jean Pierre
Florens soulignait que les médiévistes prêtaient déjà
dans leurs propres travaux des comportements économiques complexes
aux hommes du Moyen Âge. Si anachronisme il y a, il n'est peut-être
pas dans la formalisation. Au contraire, l'explicitation que nécessite
le recours au modèle économétrique est peut-être
l'occasion, à l'aide des outils de l'anthropologie, d'une mise en
perspective critique féconde de l'approche historique. |
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