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On
peut dire que le marché de la terre n’existait pas en tant qu’objet
historiographique avant les années 60 : les historiens –les médiévistes
en particulier- prêtaient certes attention aux transactions foncières,
mais ne les étudiaient guère pour elles-mêmes. A partir
de cette époque, ce thème de recherche se développe,
chez les médiévistes anglais d’abord, puis dans différents
pays et au croisement d’influences diverses et parfois inattendues, qui
débordent largement les campagnes médiévales.
Les études sur le marché de la terre médiéval
constituent ainsi un bel exemple de la façon dont circulent les
idées chez les historiens d’aujourd’hui.
Le marché de la terre.
La
notion de marché de la terre, telle qu’elle a été
définie par ces recherches, recouvre toutes les transactions onéreuses
qui affectent durablement la possession de la terre et, secondairement,
celle des immeubles. Sont donc prises en compte au premier chef les ventes,
mais aussi les concessions de longue durée, de type emphytéotique,
et les constitutions de rentes assises sur la terre.
Ces deux derniers ensembles de transactions peuvent constituer des secteurs
très importants du marché.
Autre donnée essentielle : ce sont les transactions effectuées
par les paysans, petits et moyens propriétaires ou tenanciers perpétuels
ou de très longue durée,
qui fournissent la grande majorité des documents,
et qui sont aussi au centre des études.
Mais le marché de la terre concerne aussi bien entendu la grande
propriété. A toutes époques, dans certaines situations,
l’intervention d’un gros investisseur, disposant de moyens démesurés
par rapport aux paysans, peut même bouleverser, voire épuiser
le marché.
Et la part de la grande propriété dans les sources, sinon
dans la réalité, est généralement de plus en
plus importante, voire exclusive, à mesure que l’on remonte vers
le haut Moyen Age, au point d’occulter entièrement –sauf dans quelques
contrées méridionales- les éventuelles transactions
paysannes.
La question même du marché de la terre ne se pose d’ailleurs
pas vraiment pour le haut Moyen Age : la majorité des transferts
de biens relève alors de l’échange et non du marché,
et ne correspond pas à des évaluations monétaires.
Il
existe aussi bien évidemment un marché de la terre dans la
ville médiévale : il s‘agit plus exactement d’un marché
immobilier, puisque les transactions y portent le plus souvent sur des
immeubles, plutôt que sur des terres à bâtir ou à
cultiver. Le fonctionnement de ce marché a donné lieu à
quelques études remarquables,
sans que celles-ci constituent cependant une école de recherche
au même titre que le marché de la terre rural.
L’expression
« marché de la terre» elle-même mérite
qu’on s’y arrête un instant : venue des Anglo-Saxons (land market)
en même temps que le sujet de recherche lui-même, elle a été
adoptée sans explications particulières dans toutes les langues
des historiens modernistes et médiévistes qui ont été
séduits par ce thème de recherche : anglais, italien, castillan
et catalan, français.
Mais elle est au fond assez inadaptée à l’objet qu’elle recouvre,
au moins pour les médiévistes ; son emploi demande à
tout le moins des éclaircissements. Le terme de marché évoque
en effet une situation « ouverte », dans laquelle la circulation
des biens et la fixation des prix se font librement, et les transactions
dépendent peu des relations personnelles entre les contractants.
Or on va voir que ces notions doivent être mises en question pour
une grande partie au moins des transactions foncières médiévales
et même modernes. Un résultat essentiel de la recherche a
même été justement de montrer qu’il fallait abandonner
l’idée que la valeur des biens fonciers se conformait normalement
au Moyen Age à un prix du marché dépendant d’une loi
générale de l’offre et de la demande : il n’est plus question
aujourd’hui d’utiliser sans états d’âme les actes de vente
pour tracer des courbes de prix de la terre et les interpréter comme
des indicateurs de l’évolution économique. La recherche sur
le « marché de la terre » a en fait paradoxalement plutôt
montré la vanité de cette expression, appliquée au
Moyen Age ; un ouvrage récent sur la Galice –qui traite il est vrai
d’une situation extrême dans laquelle le marché est étouffé
par un grand investisseur- a même pris comme titre « transactions
sans marché ».
Le
« marché de la terre » médiéval est donc
assez éloigné des définitions courantes du marché,
et cela peut faire naître plus d’un malentendu. Les plus récentes
discussions sur ce sujet
ont cependant conclu qu’il était légitime de conserver cette
expression, en soulignant notamment que la notion de marché pouvait
prendre en compte des facteurs qui ne relèvent pas de la pure rationalité
économique (sociaux, affectifs, symboliques…), et qu’elle pouvait
s’appliquer même à des densités de transactions faibles,
comme celles que présentent la plupart des dossiers de sources médiévales
: un village où il n’y a qu’une demi-douzaine de ventes de champs
par an, entre gens qui sont liés entre eux par toutes sortes d’obligations
réciproques, est bel et bien un marché pour l’économiste
; l’anthropologue quant à lui, lorsqu’il est confronté à
une situation de ce genre, s’attache plutôt à l’ensemble de
relations interpersonnelles qui constitue l’arrière-plan des transactions
et leur donne leur sens ; l’historien a appris désormais à
croiser ces deux approches complémentaires. Le dialogue entre historiens
et anthropologues
a de surcroît enseigné aux premiers que le versement du prix,
qui peut au demeurant être retardé pendant des mois ou des
années, ne rompt pas forcément les liens entre les contractants,
et que les rapports de réciprocité peuvent survivre à
la transaction, et même être stimulés par elle. Les
transactions foncières médiévales peuvent donc bien
être considérées comme un marché, à condition
qu’on ne néglige aucune de leurs spécificités.
L’étude des transactions foncières
avant le « marché de la terre ».
Les
médiévistes n’ont pas attendu l’introduction de ce nouvel
objet historiographique pour s’intéresser aux transactions foncières.
La période qui a vu les historiens se tourner en grand nombre vers
l’économie, et que l’on rattache globalement à l’influence
de « l’école des Annales », première manière
–de l’immédiat avant-guerre aux années 70-, les a déjà
largement prises en compte, en particulier dans le domaine français
: la plupart des monographies régionales, qui constituent un des
grands héritages des médiévistes français de
cette époque, comprennent quelques pages sur la circulation des
champs et des exploitations rurales : ainsi la « Picardie »
de Robert Fossier, le « Chartrain » d’André Chédeville,
pour ne citer que ces deux-là.
Les grandes synthèses de Duby et de Fourquin
font place quant à elles à la diffusion des rentes constituées
à partir du XIIe siècle, présentée comme un
autre indicateur important de la conjoncture et de la « monétarisation
» de l’économie rurale. L’influence dont jouissaient à
l’étranger les Annales et quelques grands médiévistes
français y a fait essaimer ce genre de préoccupations
: le jeune Cinzio Violante, lecteur attentif de l’historiographie française,
intitulait en 1953 « la progressive augmentation des prix
comme symptôme de reprise de la vie économique et sociale»
un passage souvent cité de La società milanese nell’età
precomunale
; et, dans la durable fortune outre-Pyrénées du livre de
Pierre Bonnassie sur la Catalogne
–de vingt ans postérieur-, les analyses des séries denses
de transactions foncières entre paysans, concluant à la disparition
de l’alleu sous la pression seigneuriale, n’ont pas été les
moins lues par la cohorte d’historiens de valeur qui ont depuis développé
le thème du « féodalisme catalan » et ont fait
de la Catalogne l’une des régions d’Occident où le marché
de la terre est le mieux connu.
On
pourrait dire en somme, avec un brin de paradoxe, que dans l’historiographie
française et dans les travaux qu’elle a de près ou de loin
inspirés, le marché de la terre, sans le nom, a connu ses
plus beaux jours à l’époque des grandes monographies d’histoire
rurale. Cependant ces études ne s’attachent pas vraiment aux transactions
foncières pour elles-mêmes, mais plutôt en tant que
moyens pour atteindre d’autres objets. Les descriptions de parcelles et
d’exploitations que contiennent les actes de vente permettent en effet
d’abord d’analyser la structure agraire, surtout si on peut les combiner
avec des sources descriptives tels que censiers et inventaires divers.
Les séries de prix fournissent d’autre part des données précieuses
pour entrevoir la conjoncture économique, à des époques
où les sources sérielles sont presque inexistantes. Une fois
tenu compte de quelques facteurs de base qui peuvent influer sur la valeur
intrinsèque des terres,
l’observation de séries suffisamment denses, telles que les fournissent
la Catalogne du Xe siècle, la Lombardie du XIe, et des campagnes
plus septentrionales à partir de dates généralement
un peu plus récentes, permet de mettre l’évolution du prix
de la terre (et celle de la valeur relative des divers types de terres)
en rapport avec la croissance économique et démographique
entre XIe et XIIIe siècles, avec la crise ensuite. Cet ensemble
de notions et de corrélations simples a constitué la base
de l’approche empirique des médiévistes jusqu’à une
date plus ou moins récente selon les pays. Pour étudier la
société rurale, on préférait d’autres sources
(qui pouvaient d’ailleurs servir elles-mêmes pour l’étude
de la conjoncture) : les contrats agraires surtout, privilégiés
par leur nombre, ou les testaments, les actes de justice... En France,
cette conception de l’intérêt des transactions foncières,
« instrumentale » et surtout orientée vers l’étude
des structures agraires et de la conjoncture, a prévalu jusqu’à
ces dernières années,
alors même qu’une certaine désaffection pour les monographies
d’histoire rurale la privait progressivement de pratiquants.
Alors
que cette façon d’étudier les transactions foncières
atteignait son apogée chez les Français, entre années
60 et années 70, des courants d’origines très différentes
convergeaient dans d’autres pays, de façon assez inattendue, pour
transformer cette étude en objet historiographique de plein exercice.
Les Carte
nativorum, Michael Postan et l’historiographie britannique.
Le
début de l’histoire des études sur le marché de la
terre ressemble à celui d’une aventure de Blake et Mortimer
: quelques amis prennent le thé dans une résidence de la
campagne anglaise, et un vieux manuscrit va les mettre sur la piste d’un
grand mystère scientifique. En l’occurrence, nous sommes en 1938,
et les personnages sont Michael Postan et son épouse, venus en visite
de Cambridge à Peterborough, chez leur « charmant et enthousiaste
ami Mr. W.T. Mellows». Ils se rendent périodiquement chez
lui pour consulter les archives de l’ancienne abbaye de Peterborough, dont
il possède une partie. Cet après-midi-là, Mellows
leur montre un manuscrit provenant également de Peterborough, que
son père a acheté chez Sotheby’s ; une main du XVIIIe siècle
a écrit sur la couverture « carte nativorum »
; et chacun de blâmer l’imprécision des érudits d’autrefois
: le titre est sûrement inexact, car des
nativi, paysans non
libres, ne peuvent pas posséder de terres, et donc pas non plus
de carte, de chartes de propriété. Feuilletant le
volume, Postan constate cependant qu’il reconnaît certains des noms
des hommes qui vendent et achètent des terres : il les a rencontrés
parmi les serfs de l’abbaye (vilani, nativi) , sur lesquels
il travaille à cette époque. Le titre n’est donc pas trompeur
: les Carte nativorum sont bien «un cartulaire de paysans»,
dont certains sont des serfs, « un document hautement inhabituel,
et, pour autant que je sache - écrit Postan- le seul de son espèce
connu aux historiens ». Rédigé à l’abbaye de
Peterborough au milieu du XIVe siècle, le cartulaire se compose
de 495 actes, datables de la seconde moitié du XIIIe, dont la plupart
rapportent des cessions de terres entre paysans, libres ou non. Ces textes
bouleversent une opinion jusque-là admise par les médiévistes
anglais, à savoir que les serfs –c’est-à-dire la grande majorité
des paysans anglais- ne pouvaient pas accéder à la possession
de terres, ni vendre celles-ci.
La
publication des Carte Nativorum, avec une préface de Postan,
va attendre 22 ans ; mais elle sera immédiatement à l’origine
de l’ensemble de recherches le plus précoce et le plus vigoureux
sur le marché de la terre médiéval, grâce à
l’exploitation de la remarquable documentation des grandes seigneuries
ecclésiastiques anglaises. Les court rolls (procès-verbaux
des sessions des cours de justice seigneuriales) s’avèrent particulièrement
précieux : les transferts de terres donnent lieu en effet à
enregistrement par l’administration seigneuriale, moyennant une taxe. Le
marché de la terre devient ainsi pour la première fois une
question historique à part entière pour les médiévistes.
Toute une série de publications anglaises
se constitue depuis les années 60, et aboutit en 1984 à deux
volumes collectifs
; les travaux se sont poursuivis jusqu’à aujourd’hui. Ils tournent
tout particulièrement autour de deux des questions clefs qui vont
dominer ensuite tous les débats sur le marché de la terre.
La
première de ces questions majeures est l’accès des paysans
à la possession et à la vente de terres, avec à l’arrière-plan
le rôle du seigneur dans les transactions.
L’Europe méridionale ignore ce problème : dès que
l’on dispose de documents privés, au VIIIe siècle, on voit
des paysans venir trouver le notaire pour vendre et acheter des terres.
Dans la Catalogne du Xe siècle, les transactions foncières
paysannes se comptent par milliers, comme dans l’Italie d’après
l’an mil. Les choses sont bien différentes pour les serfs anglais
d’après la conquête, dont le statut ne leur permet pas de
posséder de biens fonciers. C’est en cela que les Carte nativorum,
qui révélaient une possession paysanne de la terre bien plus
ancienne qu’on ne le croyait, ont joué un rôle décisif
dans la genèse de l’histoire du marché de la terre.
Des situations (et des types de sources) analogues se retrouvent dans beaucoup
de régions de l’Occident médiéval, où le seigneur
prélève une taxe sur les transferts de terres (les lods et
ventes des historiens français).
La
deuxième question majeure qui est posée dès la préface
de Postan aux chartes de Peterborough –et qui, elle, vaut pour toute l’Europe,
avec des configurations diverses- est celle de savoir s’il y a vraiment
un marché foncier, ou bien si les terres ne circulent qu’au sein
de la cellule familiale, ou d’un groupe de cellules familiales, en fonction
de l’évolution de leurs besoins.
Ce dernier point a tenu une place particulièrement importante dans
les débats ; l’interprétation « familiale » a
en fait deux options. Pour certains historiens, la majorité des
transmissions de biens enregistrées par les sources seigneuriales
se passe à l’intérieur même des familles, et n’a donc
que l’apparence de transactions : ce sont en fait des héritages
que le seigneur autorise en prélevant une taxe ; il n’y a pas du
tout de marché, ni même de transactions. Pour d’autres, une
partie des transactions sort bien du cadre de la famille, mais elles restent
quand même dominées par la structure familiale : la famille
paysanne, correspondant à l’unité d’exploitation, acquiert
des terres (en propriété ou en tenure) quand elle s’accroît
et en vend quand elle se rétrécit ; le jeune ménage
étend son exploitation pour s’établir et faire face aux besoins
croissants de sa progéniture, et il la réduit à partir
du moment où enfants, devenus adultes, quittent le foyer ; certaines
veuves, qui finissent de liquider l’exploitation, sont des vendeurs particulièrement
actifs. Postan expliquait déjà de cette façon les
transactions des Carte nativorum. Cette interprétation aboutit
à une conception cyclique et fermée sur elle-même du
marché de la terre, dont la « respiration » au rythme
des générations humaines ignore les phénomènes
d’accumulation.
L’interprétation
diamétralement opposée (ou la situation diamétralement
opposée, comme on voudra) est celle de l’historiographie de l’Italie
communale, dominée par la notion de l’accumulation foncière
que réalisent les citadins aux dépens des ruraux. Ceux-ci,
libres propriétaires ou tenanciers perpétuels, disposent
de leurs terres sans aucune contrainte juridique ; affrontés à
la rapide « commercialisation » de l’économie dès
le XIe siècle, ils sont amenés au cours des trois siècles
qui suivent à liquider leurs exploitations et même leurs biens
collectifs, par la pression démographique et par la confrontation
avec les citadins. Ces derniers disposent de ressources bien supérieures
et les investissent dans des opérations de crédit qui s’achèvent
immanquablement par l’acquisition des terres des ruraux.
A l’arrière-plan de ce schéma, une vue malthusienne implicite
de l’économie rurale : le stock de terres disponibles pour l’exploitation
(cultivées ou à défricher) est limité et s’épuise
au cours du XIIIe siècle alors que la population continue d’augmenter,
d’où hausse des prix de la terre, réduction des surfaces
des exploitations, et paupérisation des familles nombreuses manquant
de terre.
Ce malthusianisme est à vrai dire assez paradoxal, puisque l’Italie
communale est la partie de l’Occident où le développement
est le plus intense, et une des seules où les ressources agricoles
n’ont plus, dès le XIIIe siècle, une importance absolument
primordiale. On remarquera qu’au contraire la conception « familiale
» du marché de la terre retenue par un courant important de
l’historiographie anglo-saxonne ne tient guère compte de l’augmentation
de la pression démographique ni de la limitation des terres disponibles,
qui pourraient enrayer le retour cyclique de l’équilibre à
chaque génération (ni d’autres phénomènes tels
que le développement du salariat et de l’émigration, qui
tiennent au contraire une place importante dans le schéma d’évolution
italien).
Chayanov.
La
conception d’un marché de la terre cyclique, dont le rythme se calque
sur celui de la reproduction biologique des familles paysannes, et que
ne vient perturber aucune intervention extérieure, doit être
recherchée dans l’héritage intellectuel d’Alexandre Chayanov,
dont elle constitue la partie fondamentale. Quelques années après
l’édition des Carte nativorum, on exhume de l’oubli où
ils étaient tombés les travaux de cet économiste russe,
disparu dans les purges staliniennes au moment même où Postan
découvrait le précieux manuscrit : en 1966, les principales
oeuvres de Chayanov, jusque-là connues de très peu d’Occidentaux
(dont Postan lui-même) sont traduites en anglais aux Etats-Unis,
avec une présentation et des commentaires qui les rendent accessibles.
C’est le début de sa fortune en Occident, 36 ans après sa
disparition et après le coup d’arrêt à la diffusion
de ses idées en URSS.
Alexandre
Vassilievich Chayanov
(1888-1939) a mené à Moscou une carrière d’enseignant
et de polémiste consacrée à l’économie agraire
; c’est la personnalité la plus influente en ce domaine en Russie
dès l’époque de la révolution, et il le reste ensuite
bien que ses idées divergent des doctrines officielles. De 1919
à 1930, il dirige un grand institut d’économie agraire. En
1930, il est accusé avec d’autres économistes d’idées
petit-bourgeoises et de sabotage de la production agricole, et disparaît
; il aurait été fusillé en 1939.
Du
vivant de Chayanov, seuls quelques Occidentaux
avaient eu accès à ses ouvrages et à ses nombreux
opuscules sur l’économie rurale russe, dont quelques-uns avaient
été traduits en allemand mais dont la diffusion restait confidentielle
hors de l’URSS.
Parmi ces précoces adeptes de Chayanov, on l’a vu, Postan, lui-même
d’origine russe et intéressé par les courants de pensée
en URSS, qui diffuse à son tour ses idées chez les médiévistes
anglais.
Ce n’est qu’avec l’édition américaine des œuvres majeures
de Chayanov, en 1966, que ses idées vont être assimilées
par bon nombre d’historiens et de spécialistes d’autres sciences
sociales. Cette redécouverte de Chayanov est l’un des points du
dossier de l’historiographie de la terre où les idées circulent
le plus, d’un domaine scientifique à l’autre, d’un continent à
l’autre. L’édition américaine est produite par deux chercheurs
de l’EHESS –alors encore VIe section de l’EPHE-, Daniel Thorner et Basile
Kerblay, qui dirigent également un peu plus tard une édition
française.
Chayanov ne fait cependant guère fortune chez les historiens français
: Maurice Aymard ou Emmanuel Le Roy Ladurie, et déjà Fernand
Braudel, le connaissent et le discutent, mais les médiévistes
l’ignorent.
En revanche les œuvres de Chayanov se diffusent parmi les historiens espagnols,
via ceux d’entre eux qui se sont exilés en Amérique latine
pendant le franquisme ; ils trouvent là-bas des foyers d’intérêt
pour les idées de Chayanov, qui sont intégrées au
débat sur le développement des pays du Tiers-Monde : ainsi
s’explique la traduction espagnole de ses œuvres à Buenos Aires
en 1974, directement du russe, suivie de celle de l’édition Kerblay
et Thorner à Mexico en 1981. Pierre Vilar consacre un long article
en espagnol à discuter la notion d’«économie paysanne»
diffusée par Thorner.
L’établissement du régime militaire en Argentine suscite
un nouveau flux d’historiens et d’idées, en sens inverse cette fois
; chez les médiévistes, c’est Reyna Pastor qui apporte ce
bagage en Espagne lorsqu’elle s’y installe après le rétablissement
de la démocratie. En Italie les œuvres de Chayanov sont traduites
en 1988. Il s’agit justement des pays où le marché de la
terre devient peu après un thème de recherche : la thématique
chayanovienne va donc tout naturellement être intégrée
à la problématique des premières rencontres.
Les
idées de Chayanov s’appuient sur les grandes enquêtes sur
la paysannerie russe qui ont été réalisées
à partir de 1860. Pour lui, l’économie agraire a un but pratique
immédiat : il s’agit de mieux organiser la production agricole,
sans attendre d’éventuels changements politiques. L’exploitation
familiale doit être conservée, car son mode de fonctionnement
–en premier lieu l’absence de main-d’œuvre salariée- lui confère
beaucoup plus de souplesse et de capacité de réaction que
les grandes exploitations, qu’elles soient privées, collectives,
ou étatiques. Il faut donc donner à la petite exploitation
les moyens d’intensifier et de commercialiser sa production, en particulier
par des coopératives. Au demeurant l’objectif du paysan n’est pas
le profit maximum, mais l’équilibre entre le bien-être et
le travail : la famille cesse de travailler lorsque ses besoins sont assurés
et que le profit devient marginal. D’autre part, la division fondamentale
au sein de la société rurale est provoquée par le
cycle démographique : celui-ci oppose alternativement les exploitations
de jeunes couples, qui ont de gros besoins pour nourrir leurs enfants,
et celles des vieux, qui n’ont plus besoin de beaucoup produire.
Les
grands reproches que l’on a fait à Chayanov sont d’avoir décrit
une société rurale immobile, et de s’être exclusivement
fondé sur l’observation des données russes : l’abondance
de terres et sa libre disposition par ceux qui la cultivent, par exemple,
sont des conditions sine qua non pour la reproduction de cette société,
et on peine à faire entrer dans ce schéma les lieux et les
époques où ces conditions ne sont pas remplies, comme l’Europe
surpeuplée de la fin du XIIIe siècle, ou celles des sociétés
médiévales dans lesquelles le servage s’accompagne de restrictions
à la propriété.
De même, l’absence d’intervenants extérieurs dans la circulation
des terres n’est guère exportable à des pays –l’Italie communale
et les environs de toutes les villes occidentales de ce temps- où
une bourgeoisie entreprenante a des capitaux à investir. Chayanov
a cependant cherché à transformer ses idées en une
doctrine applicable à toutes époques et tous pays
: l’«économie paysanne», fondée sur la petite
exploitation familiale, serait une des formes de l’histoire économique
de l’humanité
à côté de l’esclavage, du féodalisme, du capitalisme
et du socialisme. Mieux que cette tentative de construire une théorie
générale, l’application tardive des idées essentielles
de Chayanov à toutes sortes de situations –médiévales
en particulier- a prouvé que leurs racines exclusivement russes
ne les empêchait pas d’être transposables : la problématique
du marché de la terre a intégré l’idée que
les transactions sont dominées, ou en tout cas largement conditionnées,
par l’évolution cyclique de la taille des exploitations en fonction
de celle des familles. C’est un point central de la discussion entre Anglo-Saxons,
qui reparaît explicitement, avec des nuances, chez Giovanni Levi,
Emmanuel Le Roy Ladurie, Maurice Aymard…
; la thèse et un article de Gérard Béaur sont en partie
construits sur ce schéma.
Evelyne Patlagean transpose cette problématique à Byzance.
Les médiévistes espagnols la connaissent aussi, et s’ils
ne l’appliquent pas directement ils en tirent au moins un mode d’interprétation
à combiner à d’autres.
Quaderni
Storici 1987 : Giovanni Levi, les Italiens, l’Ecole française
de Rome et l’EHESS.
En
Italie, les études sur le marché de la terre débutent
exactement au moment où les médiévistes anglais atteignent
leurs résultats majeurs : en 1985 avec le livre de Giovanni Levi,
L’eredità
immateriale. Carriera di un esorcista nel Piemonte del Seicento ,
et 1986 avec le colloque réuni à l’Ecole française
de Rome par Giovanni Levi et Gérard Delille, dont les actes sont
publiés en 1987 dans la revue Quaderni Storici. Delille,
directeur des études modernes et contemporaines à l’EFR,
vient de publier sa thèse Famille et propriété
dans le royaume de Naples (XVIIIe-XIXe siècles),
importante pour le sujet qui nous occupe ; quant au livre de Levi, il aura
une grande influence un peu partout en Europe. Avec lui, le marché
de la terre entre clairement en tant que tel dans l’historiographie italienne
; mais en même temps il le tire du côté de la micro-histoire,
dont il est l’un des maîtres : cette façon d’envisager le
passé permet, en passant au peigne fin les relations entre les habitants
d’un village et en alternant les angles et les échelles d’observation,
de démêler tous les tenants et aboutissants des transactions,
et de les révéler souvent très différentes
de ce qu’elles paraissaient.
Les résultats de Levi sont spectaculaires et déconcertants
: les habitants de son village piémontais vendent plus cher à
leurs proches qu’aux étrangers, contrairement à ce que l’on
aurait pu supposer –et que les médiévistes supposaient trop
facilement dans leurs études des transactions foncières.
Ces comportements a priori aberrants s’expliquent, bien sûr. Et l’explication
donnée par Levi fait apparaître deux autre thèmes majeurs
dans la palette des études sur le marché de la terre. Le
premier, c’est l’idée –à vrai dire point nouvelle mais jamais
vraiment systématisée- que les transactions n’obéissent
pas seulement à une logique économique, mais aussi à
des raisons sociales (ou familiales) : c’est au cas par cas que l’on doit
évaluer dans quelle mesure la valeur des biens fonciers et immobiliers
se conforme, lors d’une transaction donnée, à un prix du
marché qui dépendrait d’une loi générale de
l’offre et de la demande indépendante des personnalités de
l’acheteur et du vendeur ; et dans quelle mesure ces personnalités
des contractants, et les liens qui existent entre eux, pèsent sur
le prix de vente.
Il
faut ici évoquer une autre influence encore, celle de Karl Polanyi
: La grande transformation a été traduite en 1983
dans la Bibliothèque des Histoires comme le sera Le pouvoir au
village. Forte sur une partie des une partie des pré- et protohistoriens
et des historiens de l’économie antique,
l’influence des idées de Polanyi n’est pas négligeable sur
certains modernistes : le thème central, si on peut le résumer
grossièrement, est qu’avant la révolution industrielle l’Europe,
comme le reste du monde, ignore la domination de l’économique sur
le social - les phénomènes économiques étant
d’ailleurs eux-mêmes inséparables de leur contexte social–
; c’est ce qu’illustre parfaitement le marché de la terre, ce marché
qui n’en est pas tout à fait un.
Une
autre idée du livre de Levi qui est importante pour la recherche
sur le marché de la terre, c’est que l’acte de vente que nous avons
entre les mains lorsque nous dépouillons un fonds d’archives n’est
généralement qu’un maillon d’une chaîne de transactions
dont nous n’avons pas forcément conservé l’ensemble : pour
prendre un exemple élémentaire, le bas prix d’une terre vendue
peut s’expliquer par un prêt antérieur jamais remboursé,
que solde la vente. Si le lecteur n’est pas las des sauts de puce et grands
écarts d’un courant d’idées à l’autre, il pourra remarquer
que l’on n’est pas très éloigné ici de la démarche
de Barbara Rosenwein, auteur d’un autre livre d’influence à peu
près contemporain, mais dont le public ne recoupe qu’en partie celui
de Levi, To be a Neighbor of Saint Peter.
Cette étude sur les relations entre Cluny et ses voisins laïcs,
de la fondation de l’abbaye au milieu du XIe siècle, montre que
les donations et les quelques ventes de terres faites à Cluny à
cette époque sont bien autre chose que de simples transferts de
propriété : elles servent également à créer
des liens. Un peu comme Levi, Rosenwein nous enseigne aussi qu’une transaction
peut n’être jamais terminée : les confirmations rituelles
de la cession d’une terre au monastère, répétées
au fil des générations, permettent aux descendants du donateur
de maintenir avec les moines le lien créé par la cession
initiale. En échange, les donateurs reçoivent des prières,
mais aussi le « voisinage avec saint Pierre » qui donne son
titre au livre, et qui fournit une autre leçon pour l’étude
du marché de la terre : la valeur spéciale – souvent difficile
à discerner pour nous- que peut prendre telle ou telle terre pour
des raisons parfaitement extra-économiques. C’est avec Levi et Rosenwein
que les historiens du marché de la terre se rapprochent le plus
de l’anthropologie, dans la veine classique du don et du contre-don : ces
chaînes de transactions qui n’en finissent pas, qui ménagent
toujours une future étape à la réciprocité,
maintiennent le lien social, dans le fil des échanges ritualisés
que pratiquait, à grande échelle, le haut Moyen Age. Egalement
familière à l’anthropologue l’idée que les transactions
répondent à une rationalité qui n’est pas purement
économique, mais intègre des attentes sociales, familiales,
spirituelles… : c’est justement cette renonciation délibérée
à transposer telle quelle dans le passé la rationalité
du monde industriel et capitaliste, qui distingue les historiens actuels
du marché de la terre de ceux des générations précédentes.
Il
est caractéristique que la seule contribution sur l’Italie médiévale
dans le recueil Il mercato della terra soit due à un Anglais,
Chris Wickham
; le choix des articles est d’ailleurs à lui seul indicatif de l’état
de la recherche sur le marché de la terre au Moyen Age au milieu
des années 80 : deux articles sur l’Angleterre
et celui d’un Américain sur la Castille.
On a l’impression que les études se résument encore au monde
anglo-saxon. En fait les Espagnols ont déjà commencé
à travailler à cette époque-là, mais leurs
résultats ne seront publiés qu’un peu plus tard. Quant aux
Italiens, il faut bien dire que le numéro de Quaderni Storici
n’a pas eu sur eux d’effet incitatif.
Le
thème ne s’est pas imposé non plus chez les médiévistes
français, en dépit du patronage de l’Ecole française
de Rome. Après l’unique manifestation de 1986, le marché
de la terre ne reparaît d’ailleurs plus parmi les thèmes de
recherche qui constituent des « fils rouges » plus ou moins
suivis des MEFRM et des colloques de l’Ecole, pas davantage que dans les
travaux de la majorité de ses membres et anciens membres, dont plusieurs
poursuivaient pourtant des recherches d’histoire rurale : les médiévistes
farnésiens que les campagnes intéressent sont alors occupés
des problématiques de l’incastellamento ou de la société
communale, et laissent échapper cette incitation. Les exceptions
à cette indifférence sont cependant remarquables : dès
1984 Jean-Claude Maire Vigueur, directeur des études médiévales
à l’EFR, a repris l’interprétation des ventes et reventes
répétées des grands domaines de la Campagne romaine
sur lesquels il travaillait.
A l’explication économiste qu’il adoptait précédemment,
en conformité avec la tendance historiographique dominante (la circulation
des exploitations est une conséquence du dynamisme économique
des hommes d’affaires romains, qui investissent dans l’agriculture), il
substitue une interprétation fondée sur des exigences symboliques
de reproduction de la famille et de son prestige social : les domaines
ruraux constituent pour les familles dominantes de Rome un capital qui
sert à doter les filles et à acquérir des maisons
pour les fils, et c’est pour cela qu’ils circulent beaucoup. D’autres membres
de l’EFR tirent les leçons de la rencontre de 1986 : Laurent Feller
les intégre à sa thèse,
et propose avec Wickham, longtemps après, la recherche collective
qui sera mise en oeuvre en 1999-2001 ; Olivier Faron et Etienne Hubert
transposent dans le domaine du marché immobilier urbain les enseignements
des débats sur le marché de la terre.
Mais
c’est surtout du côté de l’EHESS qu’il faut chercher des prolongements
à la rencontre romaine de 1986 : Levi et Delille, qui y enseignent
tous deux au cours des années suivantes, vont y raviver, ou y poursuivre
(mais toujours sans écho auprès des médiévistes
parisiens), l’intérêt pour le marché de la terre qui
avait débuté quinze ans auparavant avec Thorner et Kerblay.
Avant le colloque de l’Ecole de Rome, en 1983, a paru dans les
Annales
un article bref mais important de Maurice Aymard, qui a, entre autres mérites,
celui de situer le marché de la terre parmi les quatre marchés
auxquels a accès le paysan : la terre (à vendre ou à
louer), les produits agricoles, le crédit, le travail salarié.
L’année suivante paraît aux éditions de l’EHESS la
thèse de Gérard Béaur.
Toujours dans la mouvance de l’EHESS, mais dans une orientation un peu
différente, se placent ces dernières années les travaux
de Postel-Vinay, Hoffman et Rosenthal, à la fois économistes
et hommes d’archives ; ce qui les intéresse, davantage que le marché
de la terre proprement dit, c’est ce qui est en amont : le crédit,
l’accumulation de capital et les mécanismes de l’information qui
lui permettent de s’investir dans une transaction bien choisie.
Avec ces contributions, le marché de la terre trouve donc de nouveaux
protagonistes parmi les modernistes français, et enrichit sa problématique
d’approches inédites.
L’Espagne.
L’Espagne
apparaît comme l’autre école médiéviste nationale,
avec et après la Grande-Bretagne, où le thème du marché
de la terre a percé : c’est clair à partir de la publication
en 1995 d’un ensemble de cinq articles dans la revue Hispania, sous
la direction de Reyna Pastor. Le titre du dossier d’Hispania indique
d’emblée le degré de maturité atteint, neuf ans après
la rencontre de Rome : « El mercado de la tierra en la edad media
y moderna. Un concepto en revision ». L’introduction de R. Pastor
situe sans ambages les débats dans lesquels ne peut éviter
de s’inscrire désormais la recherche sur le marché de la
terre –et que j’ai résumés ci-dessus-, et souligne que les
quatre articles rassemblés n’ont pas d’unité a priori : les
auteurs sont Giovanni Levi, dont l’influence s’exerce ici comme ailleurs,
et quatre Espagnols dont trois médiévistes, R. Pastor elle-même,
Antoni Furió et Josep Maria Salrach, « choisis en raison de
leur prestige reconnu comme chercheurs et de l’intérêt qu’ils
ont manifesté à plusieurs reprises pour cette thématique
». De fait, derrière ces trois têtes de file, des groupes
de recherche travaillent depuis plusieurs années déjà
sur le marché de la terre dans les archives galiciennes, valenciennes,
catalanes, et d’autres chercheurs suivent cette orientation ailleurs.
Un
peu comme chez les médiévistes anglo-saxons, la multiplication
des travaux autour de ce nouveau thème ne va pas sans débats
; ici la principale divergence porte sur l’existence ou non d’un marché,
et elle s’explique par par la solution de continuité qui court au
sein même de la péninsule, dans les situations historiques
et dans les documentations. Il y a en fait deux Espagnes
en ce qui concerne les transactions foncières aussi bien que les
sources qui permettent de les connaître : d’une part la côte
méditerranéenne et son arrière-pays, de la Catalogne
et de la Navarre au royaume de Valence et à l’Andalousie, d’autre
part l’Espagne du centre et du Nord-Ouest, castillane et galicienne. En
gommant les différences internes, on peut dire que le premier ensemble
dispose dès le courant du XIIIe siècle d’excellents registres
notariés, qui attestent un marché paysan très actif.
C’est vrai surtout dans les huertas valenciennes et andalouses où
il est alimenté par la conquête chrétienne du XIIIe
siècle, qui exproprie les musulmans et leur substitue une population
instable, et par la coutume successorale égalitaire : les exploitations
se composent en grande partie de terres achetées récemment,
et vite revendues.
Pour l’Espagne du centre et du Nord-Ouest en revanche, on doit se contenter
jusqu’au XVe siècle de chartriers ecclésiastiques, qui reflètent
une situation atone, dominée par la grande propriété
et résumée dans la formule extrême de R. Pastor, «
transactions sans marché ».
Les
avancées de la recherche et les échanges d’influences au
sein des études sur le marché de la terre médiéval
ne s’arrêtent pas aux travaux espagnols des années 90 : depuis
1999, deux colloques
ont rassemblé des chercheurs des différentes nationalités
concernées, et même de pays, l’Allemagne et les Etats-Unis,
qui étaient jusque-là restés à l’écart.
Convergences et confrontations se sont affirmées entre les différentes
écoles nationales et avec les économistes, économètres
et anthropologues, eux aussi représentés. La circulation
des thèmes et des idées, dont j’ai cherché à
retracer le cheminement avec ses détours parfois inattendus, ses
accélérations et ses impasses, continue donc, et s’intensifie.
Ce texte doit paraître, en version abrégée, dans un
volume collectif publié par les Presses universitaires de Rennes.
Nous remercions la direction des PUR d’avoir autorisé la publication
en ligne de cette version intégrale.
Je suis redevable de mon intérêt pour le marché de
la terre, et de la majeure partie de mes connaissances à son sujet,
au groupe de travail animé par Laurent Feller, Chris Wickham et
Monique Bourin ; les actes des deux rencontres qu’ils ont organisées
en 1999 et 2000 sont en cours de publication sous le titre Le marché
de la terre au Moyen Age dans la Collection de l’Ecole française
de Rome. J’exprime également ma reconnaissance aux collègues
qui ont présenté des communications sur ce thème à
mon séminaire de l’Ecole Normale Supérieure durant l’hiver
2000-2001 : Agnès Gramain, Laurent Feller, Gilles Postel-Vinay,
Etienne Hubert, Antoni Furió et John Drendel, ainsi que Régine
Le Jan et François Bougard qui nous ont permis des confrontations
avec les situations du haut Moyen Age (voir les actes de la première
rencontre du groupe de recherches qu’ils animent : Les transferts patrimoniaux
en Europe occidentale, VIIIe-Xe siècle, Mélanges de
l’Ecole française de Rome. Moyen Age, 111-2, 1999). Je suis
également redevable d’un certain nombre d’informations à
des conversations avec Philipp Schofield, Jacques Bottin, Antoni Furió,
Evelyne Patlagean, Florence Weber, Ana Rodriguez Lopez. Ces dernières,
ainsi que Monique Bourin, Chris Wickham et Laurent Feller, ont bien voulu
lire mon article et me communiquer leurs remarques et des suggestions de
lectures complémentaires ; il va de soi que les imperfections et
les erreurs que le texte peut encore contenir en dépit de toutes
ces aides me sont entièrement imputables.
Il faut aussi prendre en considération les dots et autres transferts
de terres ou de droits fonciers qui accompagnent les mariages : ils mobilisent
un considérable volant de terres, souvent acquises pour la circonstance
et facilement revendues, par exemple en cas de veuvage. La circulation
foncière s’en trouve sensiblement accélérée
; voir par ex. les études de J.-C. Maire Vigueur, A. Furió
ou G. Delille citées ci-dessous. Le paiement de ces achats engendre
par ailleurs un endettement qui peut peser lourd dans les budgets paysans
: nombreux cas par ex. dans Endettement paysan et crédit rural
dans l’Europe médiévale et moderne. Actes des XVIIes Journées
internationales d’histoire de l’abbaye de Flaran (septembre 1995),
Toulouse, 1998. Ce volet a été particulièrement pris
en compte dans Les transferts patrimoniaux en Europe occidentale, VIIIe-Xe
siècles (II). Actes de la rencontre de Lille (mars 1999), sous
presse. Remarquons en passant – pour faire un peu de gender history-
que les transactions foncières sont au Moyen Age central plutôt
une affaire d’hommes, à la notable exception près des veuves
(voir ci-dessous ; et B.A. Holderness, «Widows in pre-industrial
society : an essay upon their economic functions», dans Land,
Kinship and Life-Cycle, éd. R. M. Smith, Cambridge, 1984, p.
423-442). Sur des comportements analogues dans le domaine, très
proche, du crédit, W.C. Jordan, Women and credit in pre-industrial
and developing societies, Philadelphie, 1993.
Exemples parmi beaucoup : en Catalogne, le marché est constitué
d’alleux paysans jusqu’au XIe siècle, mais de tenures ensuite, après
la raréfaction des alleux (voir par ex. L. To Figueras, «
Exemples catalans », dans Le marché de la terre au Moyen
Age). Au pays de Valence, et ailleurs dans la péninsule
ibérique des derniers siècles du Moyen Age, l’endettement
paysan conduit habituellement à la constitution de rentes sur la
terre, plutôt qu’au transfert de propriété au prêteur
–qui est souvent un citadin- comme c’est le cas en Italie : A. Furió,
« Endettement paysan et crédit dans la péninsule ibérique
au Moyen Age », dans Endettement paysan et crédit rural…,
p.
139-167 ; J.-L. Gaulin et F. Menant, « Crédit rural et endettement
paysan dans l’Italie communale », ibidem, p. 35-68.
Pour éviter les périphrases, j’entendrai désormais
comme « paysans » les exploitants directs, à l’exclusion
naturellement de grands propriétaires tels que certains ordres monastiques,
Cisterciens ou autres.
L’enregistrement des transferts de tenures par l’administration seigneuriale
constitue une source majeure pour l’histoire du marché de la terre
dans beaucoup de pays (ci-dessous, le cas anglais). Pour les transactions
qui portent sur des propriétés échappant à
cet enregistrement, ce sont les actes notariés qui forment la grande
masse des sources, du moins dans le Sud de l’Europe : en originaux d’abord,
en registres de minutes à partir du XIIIe siècle dans les
régions les plus précoces, Italie et pays de Valence en tête.
Dans les pays qui ne disposent ni de l’une ni de l’autre de ces sources,
la connaissance même des transactions foncières peut s’avérer
difficile, à moins que n’existent des types particuliers d’enregistrement
des actes.
Il faut relever d’emblée que la pratique successorale constitue
un facteur important dans l’activité du marché de la terre,
même si des pratiques différentes peuvent finalement aboutir
à des résultats comparables : la circulation des parcelles
est stimulée au royaume de Valence et en Lombardie par le partage
égalitaire, mais également en Angleterre par l’usage inverse,
celui de transmettre des tenures entières, qui conduit les pères
de famille à acheter des terres pour les fils exclus de l’héritage
(cf. C. Dyer, « The peasant landmarket in medieval England »,
dans Le marché de la terre au Moyen Age). Les terres destinées
à doter les cadets et les filles, circulant plus vite que les exploitations
entières, tendent à former un marché particulier.
Le monastère de Casauria dans les Abruzzes de la fin du IXe siècle,
celui d’Oseira dans la Galice du XIIIe : L. Feller, Les Abruzzes médiévales.
Territoire, économie et société en Italie centrale
du IXe au XIIe siècle, Rome, 1998 ; R. Pastor et al., Transacciones
sin mercado : instituciones, propiedad y redes sociales en la Galicia monástica,
1200-1300, Madrid, 1999 ; R. Pastor et A. Rodriguez Lopez, «
Compraventa de tierras en Galicia. Microanálisis de la documentación
del monasterio de Oseira. Siglo XIII », Hispania, LV, nº
191 (1995), pp. 953-1024. Et les Cisterciens en général,
et plus généralement encore de grands établissements
ecclésiastiques, chapitres cathédraux ou monastères,
dont l’intervention est cependant moins radicale que celle des deux premiers
exemples cités.
On posera plus loin le problème de leur licéité même.
R. Le Jan, « Malo ordine tenent. Transferts patrimoniaux et
conflits dans le monde franc (VIIe-Xe siècle) », dans Les
transferts patrimoniaux…, p. 959.
E.
Hubert, Espace urbain et habitat à Rome du Xe siècle à
la fin du XIIIe siècle, Rome, 1990, p. 265-360 ; O. Faron et
E. Hubert (éd.), Le sol et l’immeuble. Les formes dissociées
de la propriété immobilière dans les villes de France
et d’Italie (XIIe-XIXe siècle), Rome, 1995.
Le thème n’a pas eu de succès en Allemagne, et il n’existe
pas d’expression allemande courante qui soit l’équivalent de «
marché de la terre». Voir les revues historiographiques de
L. Kuchenbuch et de J. Morsel dans Le marché de la terre au Moyen
Age, et les études de cas de D. Scheler et de J. Demade, ibidem.
En langage d’économistes : une concurrence pure et parfaite, un
libre flux de marchandises et un libre accès des agents, et la transparence,
c’est-à-dire la connaissance des possibilités et des intentions
des autres acheteurs. Sur toute cette discussion de la notion de marché,
voir les contributions d’A. Gramain, J.-P. Florens et F. Weber dans Le
marché de la terre au Moyen Age, et l’application dans la lecture
croisée par L. Feller, A. Gramain et F. Weber d’un dossier de transactions
du IXe siècle, ibidem.
R. Pastor et al., Transacciones sin mercado…
Lors
de la rencontre Le marché de la terre au Moyen Age de 1999.
Même s’il a été assez peu présent dans les études
du marché de la terre jusqu’à une époque assez récente,
sinon indirectement : voir ci-dessous. Mise au point fondamentale : F.
Weber, « Le marché de la terre. De l’anthropologie à
l’ethnographie », dans Le marché de la terre au Moyen Age.
R. Fossier, La terre et les hommes en Picardie jusqu'à la fin
du XIIIe siècle, 2 vol., Paris-Louvain, 1968 ; A.
Chédeville, Chartres et ses campagnes (XIe-XIIIe
siècle), Paris, 1973. L’analyse la plus approfondie du mouvement
des prix est celle de G. Sivery, L'économie du royaume de France
au siècle de Saint Louis (vers 1180 - vers 1315), Lille, 1984.
Voir G. Brunel, « Le marché de la terre en France septentrionale
et en Belgique. Esquisse historiographique », dans Le marché
de la terre au Moyen Age, et des analyses supplémentaires de
thèses régionales dans L. Feller, « Statut de la terre
et statut des personnes. La thématique de l’alleu paysan dans l’historiographie
depuis Georges Duby », Etudes rurales, 1997, p. 147-164.
G. Duby, L'économie rurale et la vie des campagnes dans l'Occident
médiéval, Paris, 1962, II, p. 494-496 ; G. Fourquin,
Histoire
économique de l’Occident médiéval, Paris, 1969,
p. 222-223 ; Id., « Le temps de la croissance », dans Histoire
de la France rurale, dir. G. Duby et A. Wallon, I, Paris, 1975 ; rééd.
Paris, 1992, p. 583-586.
On
placera à part la série d’articles dans lesquels le jeune
Américain David Herlihy se livre vers 1960 à des comptages
sur des milliers de données foncières et de prix rassemblés
de toutes les sources possibles à travers l’Europe, pour définir
des évolutions d’ensemble de la propriété et de la
richesse. Ses centres d’intérêt et ses procédés
ressortissent à ceux des ruralistes qui viennent d’être cités,
en les caricaturant parfois par leur globalité : voir par ex. D.
Herlihy, « Church Property on the European Continent, 701-1200 »,
Speculum,
36 (1961), p. 81-105. Ces articles sont rassemblés dans D. Herlihy,
The social history of Italy and western Europe, 700-1500, Londres,
1978.
Il s’agit essentiellement des prix des terres et des maisons, rassemblés
par Violante au paragraphe précédent de son livre.
C. Violante, La società milanese nell’età precomunale,
Milan, 1953, rééd. Bari, 1974, p. 123-144. Voir aussi la
réflexion sur le mouvement des prix de la terre de P. Cammarosano,
La
famiglia dei Berardenghi, 1974, appendice II, p. 335-355.
P. Bonnassie, La Catalogne du milieu du Xe à la fin du XIe siècle.
Croissance et mutations d’une société, 2 vol., Toulouse,
1975-1976 ; rééd. Paris, 1990.
Les terres n’ont pas toutes la même valeur objective ; certaines
sont plus fertiles, les vignes valent davantage, les terres suburbaines
sont bien plus chères que celles des campagnes reculées,
etc.
Je me permets de citer, parmi les exemples encore assez récents,
celui de ma propre thèse, peu sensible au mouvement des prix mais
qui utilise les séries d’actes de vente pour analyser l’évolution
du paysage agraire et de la taille des exploitations paysannes: F. Menant,
Campagnes
lombardes du Moyen Age. L’économie et la société rurales
dans la région de Bergame, de Crémone et de Brescia du Xe
au XIIIe siècle, Rome, 1993 ; autre exemple contemporain : A.
Girardot, Le Droit et la Terre. Le Verdunois à la fin du Moyen
Âge, 2 vol., Nancy, 1992 (analyse critique de G. Brunel, «
Le marché de la terre en France septentrionale… »). Pour une
situation analogue chez les historiens italiens, S. Carocci, « Il
mercato della terra in Italia centrale e settentrionale, 1180-1350 »,
dans la publication en ligne, sur ce même site, de Le marché
de la terre au Moyen Age.
Une exception remarquable de médiéviste français qui
étudie le marché de la terre en tant que tel, et en tire
des conséquences sociales : M. Berthe, « Marché de
la terre et hiérarchies paysannes dans le Lauragais toulousain vers
1270 - vers 1320 », dans Campagnes médiévales :
l’homme et son espace. Etudes offertes à Robert Fossier, éd.
E. Mornet, Paris, 1995, p. 297-312.
Ce qui suit est tiré de M.M. Postan, « The Charters of the
Villeins », dans C.N.L. Brooke and M.M. Postan (éd.), Carte
Nativorum. A Peterborough Abbey Cartulary of the Fourteenth Century,
Oxford, 1960, p. XXVIII-LX ; rééd. dans Id., Essays on
Medieval Agriculture and General Problems of the Medieval Economy,
Cambridge, 1973, p. 107-149.
Voir l’excellente présentation de C. Dyer, « The peasant landmarket...
», ainsi que les introductions et conclusions des éditeurs
aux deux recueils d’articles cités à la note suivante.
Un ensemble de travaux important a également été produit
à Toronto, autour d’Ambrose Raftis, sur des thèmes proches
(mais plutôt centrés sur la communauté villageoise,
ses solidarités et ses rapports avec l’individu) ; voir P. Freedman,
«North-American Historiography of the Peasant Land Market»,
dans Le marché de la terre au Moyen Age ; Id., «Seigneurie
et paysannerie au Moyen Age. Un retrait de l’historiographie américaine»,
Histoire
et sociétés rurales, 14 (2000), p. 153-168. Sur le maintien
et l’évolution de l’intérêt des Britanniques pour les
diverses facettes de l’histoire de la propriété, W. Davies
et P. Fouracre (éd.), Property and Power in the Early Middle
Ages, Cambridge, 1995.
The
Peasant Land Market in England, éd. P.D.A. Harvey, Oxford, 1984
; Land, Kinship and Life-Cycle, éd. R.M. Smith, Cambridge,
1984. Le colloque Land, Kinship and Life-Cycle s’est en fait tenu
en 1975, et les textes de The Peasant Landmarket… reposent également
sur des recherches bien antérieures : cf. C. Dyer, « The peasant
landmarket …».
Mise au point récente : L. Feller, « Statut de la terre et
statut des personnes… ».
La première vente de terre relevée en Toscane remonte à
720 ; la première dont l’auteur soit certainement un paysan, à
730 : C. Wickham, « Vendite di terre e mercato della terra in Toscana
nel secolo XI », Quaderni Storici, 65 (1987), p. 355-378,
à la p. 358. Le terminus a quo est vraisemblablement du même
ordre pour l’Italie du Nord. La liberté générale de
la propriété et de la vente des terres dans l’Italie du haut
Moyen Age est parfaitement exposée par Wickham dans ce passage.
Voir aussi F. Bougard, «Actes privés et transferts patrimoniaux
en Italie centro-septentrionale (VIIIe-Xe siècle)», dans Les
transferts patrimoniaux…, p. 539-562.
La recherche ultérieure a révélé les nuances
régionales : le marché de la terre est plus développé
dans l’Angleterre de l’Est, plus précocement ouverte sur les échanges
que celle de l’Ouest. Voir en dernier lieu M. Müller, « Seigneurial
Control and the Peasant Landmarket in the 14th Century : a Comparative
Approach », dans Le marché de la terre au Moyen Age.
Faute de pouvoir citer en détail les travaux sur cette question,
je renvoie à C. Dyer, « The peasant landmarket… ».
Je me permets de renvoyer en dernier lieu à J.-L. Gaulin et F. Menant,
« Crédit rural… » et à F. Menant, « Genèse
d’un ”petit peuple” : la paysannerie lombarde à l’époque
des communes (XIIe-XIIIe siècles) », dans les actes du colloque
Le
petit peuple dans l’Occident médiéval (Montréal,
octobre 1999), sous presse. Ces deux articles montrent combien l’idée
de la concentration foncière est encore prégnante ; la seule
étude qui ait présenté une vue délibérément
différente, en s’inspirant du modèle anglo-saxon et en se
plaçant hors de l’influence citadine, est celle de C. Wickham, «
Vendite di terre ... ». On peut aussi rappeler le schéma radicalement
différent proposé par L. Feller, Les Abruzzes médiévales…,
pour une période antérieure et pour un milieu plus éloigné
encore de la ville que la « Toscane profonde » de Wickham.
Ce dernier a également abordé la question des transactions
foncières dans ses recherches sur les Abruzzes, en les plaçant
sous l’influence prédominante des relations sociales : C. Wickham,
The
Mountains and the City. The Tuscan Appennines in the Early Middle Ages,
Oxford, 1988. Pour l’arrière-plan idéologique du «
triomphe de la bourgeoisie » qui inspire plus ou moins consciemment
les études fondées sur la concentration foncière par
les citadins, on peut toujours voir Ph. Jones, « Economia e società
nell’Italia medievale : la leggenda della borghesia », dans Storia
d’Italia Einaudi. Annali, 1, Turin, 1978, p. 185-373 (rééd.
dans Id., Economia e società nell'Italia medievale, Turin,
1979), qui a été bien discuté mais reste stimulant.
Voir les revues historiographiques de S. Carocci et F. Menant dans Le
marché de la terre au Moyen Age.
Discussions de ce processus : The Brenner Debate, T.H. Aston et
C.H.E. Philpin éd., Cambridge 1985 ; G. Bois, La grande dépression
médiévale : XIVe et XVe siècles. Le précédent
d’une crise systémique, Paris, 2000.
A.V. Chayanov, The Theory of Peasant Economy, éd. D. Thorner,
B. Kerblay et R.E.F. Smith, The American Economic Association, Homewood
(Illinois), 1966. L’essai principal de Chayanov, qui donne son titre au
recueil, a paru en russe en 1925. Une édition plus ambitieuse a
été préparée ensuite par B. Kerblay (Œuvres
choisies, La Haye, 1967).
Sur les idées de Chayanov et leur réception par les historiens
occidentaux, on peut voir, au sein d’une bibliographie désormais
abondante : D. Thorner, « L’économie paysanne : concept pour
l’histoire économique ? », Annales ESC, 1964, p. 417-432
(et une version anglaise dans T. Shanin, éd., Peasants and Peasant
Societies, Harmondsworth, 1971, p. 208 et suiv.) ; Id., « Une
théorie néo-populiste de l’économie paysanne : l’école
de A. V. Cajanov », Annales ESC, XXX (1966), p. 1232-1244
(traduction de sa postface à l’édition américaine)
; et la postface de B. Kerblay à l’édition française
(ci-dessous), avec les références bibliographiques p. 34.
Je n’ai pas pu consulter E. P. Durrenberger (éd.), Chayanov,
Peasants and Economic Anthropology, New York, 1984. Les actes de la
rencontre sur la réception de Chayanov, qui s’était tenue
à l’EHESS en juillet 1988 et devaient paraître sous le titre
Chayanov
revisited, n’ont jamais été publiés ; je dois
à Evelyne Patlagean d’avoir pu prendre connaissance de quelques
fragments de ce projet, en particulier sa propre contribution, «
Chayanov à Byzance », et celle de M. Aymard, « Les marchés
en plus : la réaction de l’historien moderniste ».
Le nom est souvent orthographié Tchayanov, parfois Çayanov
ou Cayanov.
La liste des auteurs occidentaux qui ont cité Chayanov entre 1928
et 1960, dressée par B. Kerblay (dans A. Chayanov, The Theory
of Peasant Economy, p. XXV), s’élève à douze noms
seulement –dont Postan.
Bibliographie dressée par B. Kerblay, ibidem, avec les cotes de
ces ouvrages dans quelques grandes bibliothèques occidentales :
ils y sont bien peu diffusés.
P. Gatrell, « Studies of Medieval English Society in a Russian Context
», Past and Present, XCVI (1982), p. 22-50.
A.V. Tchayanov, L’organisation de l’économie paysanne, Paris,
1990.
A, au moins, une exception près : E. Patlagean, «“Economie
paysanne” et “féodalité byzantine”», Annales ESC,
1975, p. 1371-1396 ; rééd. dans Ead., Structures sociales,
famille, chrétienté à Byzance, IVe-XIe siècle,
Londres, 1981, article III. Voir aussi D. Herlihy et C. Klapisch, Les
Toscans et leurs familles. Une étude du catasto florentin de 1427,
Paris, 1978, p. 491-512.
P. Vilar, « Reflexiones sobre la noción de “economía
campesina “ », dans G. Anes (ed.), La economía agraria
en la historia de España. Propiedad, explotación, comercialización,
rentas, Madrid, 1979, pp. 351-386.
D’où le recours de Postan et d’une partie de l’école anglaise
au schéma chayanovien : la transmission des terres par les paysans,
que révélaient les Carte nativorum, permettait de
l’appliquer aux données anglaises.
Principalement dans l’essai L’économie non capitaliste, qui
fait partie des éditions des œuvres de Chayanov dans les différentes
langues.
Avec deux variantes : économie familiale « naturelle »,
c’est-à-dire autarcique, et « marchande», c’est-à-dire
avec accès au marché ; cette deuxième version facilite
sensiblement l’adaptation du chayanovisme à l’Occident des derniers
siècles du Moyen Age.
La référence à Chayanov conforte également
la tendance «optimiste» d’une partie de l’école anglo-saxonne
et canadienne, qui considère les paysans comme des entrepreneurs
autonomes, échappant à la pression seigneuriale ; cf. P.
Freedman, « Seigneurie et paysannerie… », p. 158.
BR>
Par ex. dans «La transformación de la tierra en mercancia
: el caso piamontés (1680-1717)», Hispania, LV, n°
191 (1995), p. 821-844.
M. Aymard, « Autoconsommation et marchés : Chayanov, Labrousse
ou Le Roy Ladurie ? », AESC, 1983, p. 1392-1409.
G. Béaur, Le marché foncier à la veille de la Révolution,
Paris, 1984 ; Id., « Investissement foncier, épargne et cycle
de vie dans le pays chartrain au XVIIIe siècle », Histoire
et mesure, VI (1991), p. 275-289.
Voir ci-dessus.
Trad. franç. Le pouvoir au village. Histoire d’un exorciste dans
le Piémont du XVIIe siècle, Paris, 1989.
Rome, 1985.
Les
Britanniques et «l’école de Toronto» ont aussi d’une
certaine façon fait de la micro-histoire avant la lettre en analysant
minutieusement les relations entre villageois.
K. Polanyi, La grande transformation. Aux origines politiques et économiques
de notre temps, Paris, 1983 (éd. américaine 1944).
A travers surtout Trade and Market in the Early Empires. Economies in
History and Theory, éd. K. Polanyi, C. M. Arensberg et H. W.
Pearson, New York, 1957 (trad. franç. : Les systèmes économiques
dans l’histoire et dans la théorie, Paris, 1975).
B. Rosenwein, To be the Neighbor of Saint Peter : the Social Meaning
of Cluny’s Property, 909-1049, Ithaca-Londres, 1989. Voir aussi S.
D. White, Custom, kinship and gifts to saints : the « Laudatio
parentum » in Western France, 1050-1150, Chapel Hill, 1988.
Sur tout ceci, F. Weber, « Le marché de la terre… »
(qui parle de « séquence de transactions », dans une
acception très proche de la « chaîne de transactions
» de Levi).
Cf. n. 29.
De P.D.A. Harvey et Z. Razi.
T. F. Ruiz, « La formazione del mercato della terra nella Castiglia
del basso medioevo », p. 423-452, repris et augmenté dans
Id., Crisis and Continuity, Land and Town in Late Medieval Castile,
Philadelphie, 1994. L’article de Ruiz et son livre sont en fait parmi les
très rares travaux américains à s’intéresser
au marché de la terre pour lui-même, cf. P. Freedman, «
North-American Historiography…».
S. Carocci, « Il mercato della terra in Italia centrale e settentrionale,
1180-1350 ».
J.-C.
Maire Vigueur, «Capital économique et capital symbolique.
Les contradictions de la société romaine à la fin
du Moyen Age», dans Gli atti privati nel tardo medioevo : fonti
per la storia sociale, éd. P. Brezzi et E. Lee, Rome 1984, p.
213-224.
L. Feller, Les Abruzzes médiévales… ; Id., «
Achats de terres, politiques matrimoniales et liens de clientèle
en Italie centro-méridionale dans la seconde moitié du IXe
siècle », dans Campagnes médiévales : l’homme
et son espace. Etudes offertes à Robert Fossier, p. 425-439
(première interprétation d’un dossier que Feller a ensuite
relu avec A. Gramain et F. Weber dans Le marché de la terre au
Moyen Age).
Voir ci-dessus.
Il faudrait aussi évaluer quelle a pu être l’influence dans
cet intérêt de la traduction –toujours sous l’impulsion de
l’EHESS- du livre de W. Kula, Théorie économique du système
féodal. Pour un modèle de l’économie polonaise, 16e-18e
siècles, Paris, 1970.
M. Aymard, « Autoconsommation et marchés…».
Voir ci-dessus.
En dernier lieu : G. Postel-Vinay, La terre et l’argent. L’agriculture
et le crédit en France du XVIIIe au début du XXe siècle,
Paris, 1998 ; P. T. Hoffman, G. Postel Vinay et J.-L. Rosenthal, Priceless
Markets. The Political Economy of Credit in Paris, 1660-1870, Chicago,
2000.
Voir déjà G. Levi, « El mercat de la terra. Anglaterra,
América colonial, India i un poble del Piamont en el segle XVII
», dans L’espai viscut. Col-loqui international d’historia local,
Valence, 1989, p. 225-258.
Faute
de pouvoir citer tous ces travaux, je dois me contenter de renvoyer à
C. Laliena, « Le marché de la terre en Espagne au bas Moyen
Age » et L. To Figueras, « L’historiographie du marché
de la terre en Catalogne », dans Le marché de la terre
au Moyen Age.
Comme d’ailleurs deux Angleterres, deux Toscanes…
Pour les sources et l’évolution catalanes, dès avant l’an
mil, voir ci-dessus.
Avec des issues d’ailleurs opposées en Valencien (pulvérisation
des propriétés paysannes) et en Andalousie (concentration
par les grands seigneurs : les paysans sont vignerons sur des propriétés
minuscules, et salariés agricoles).
Voir n. 1.
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