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I- ETUDES CONSULTEES
* Lyonnais
1964 - R. FEDOU, Les hommes de loi Lyonnais
à la fin du Moyen Age, Lyon.
1974 - M.Th. LORCIN, Les campagnes de la région
lyonnaise aux XIVe et XVe siècles, Lyon.
* Bourgogne
1941 - A. DELEAGE, La vie rurale en Bourgogne
jusqu'au début du XI e siècle, Mâcon.
1950 - G. CHEVRIER, " Evolution de la notion
de donation dans les chartes de Cluny du XIe au XIIe siècle ", A
Cluny (Congrès scientifique, 1949), Dijon, 1950, p. 203-209)
1953 - G. DUBY, La société aux
XIe et XIIe siècles dans la région mâconnaise,
EHESS, Paris, rééd. 1971, 1982.
1954 - J. RICHARD, Les ducs de Bourgogne et
la formation du duché du Xe au XIVe siècle, Paris.
1960 - P. de SAINT-JACOB, Les paysans de la
Bourgogne du Nord au dernier siècle de l'Ancien Régime,
Dijon.
1989 - G. BOIS, La mutation de l'an mil :
Lournand, village mâconnais de l'Antiquité au féodalisme,
Paris.
1989 - B. H. ROSENWEIN, To be the Neighbor
of Saint Peter. The Social Meanings of Cluny's Property, 909-1049,
Cornwell University Press, Ithaca & London.
* Orléanais
1973 - A. CHEDEVILLE, Chartres et ses campagnes,
XIe-XIIIe siècles, Paris.
* Vendômois
1993 - D. BARTHELEMY, La société
dans le comté de Vendôme de l'an mil au XIVe siècle,
Paris.
* Maine-Anjou
1906 - L. HALPHEN, Le comté d'Anjou
au XIe siècle, Thèse de doctorat.
1910 - R. LATOUCHE, Histoire du comté
du Maine pendant le Xe et le XIe siècle, Paris.
1926 - J. CHARTROU, L'Anjou de 1109 à
1151, Paris.
1938 - J. BOUSSARD, Le comté d'Anjou
sous Henri Plantagenêt et ses fils (1151-1204), Paris.
1982 - M. LE MENE, Campagnes angevines. Etude
économique (vers 1350-vers 1530), Paris.
* Bretagne
1981 - J.P. LEGUAY, Un réseau urbain
au Moyen Age. Les villes du duché de Bretagne aux XIVe et XVe siècles,
Paris.
1983 - J. GALLET, La seigneurie bretonne,
1450-1680. L'exemple du Vannetais, Publications de la Sorbonne, Paris.
1988 - W. DAVIES, Small worlds. The village
Community in early Medieval Brittany, Londres.
II - TENDANCES GENERALES
Le " marché de la terre " est un sujet
constamment abordé dans les thèses d'histoire d'après
Marc Bloch, d'une manière il est vrai plus souvent subordonnée
que centrale. C'est que les enjeux sont nombreux mais l'information, précise
et chiffrée, peu évidente sinon rare.
Tout montre en tout cas que la société
médiévale prohibe fondamentalement l'exogamie foncière,
la conçoit comme perte d'identité ; que la transaction, inévitable
et nécessaire comme dispositif de circulation des richesses, n'est
que rarement avant le XIIIe siècle et seulement très progressivement
jusqu'au XVe siècle, un simple transfert de propriété
moyennant un bien équivalent ; qu'elle contribue au contraire à
entretenir l'inégalité entre les contractants caractéristique
des relations d' " homme à homme " ; qu'elle active, sous des formes
variées et complexes, tous les rouages et tous les acteurs de la
société.
Son analyse traverse donc toutes les écoles
et toutes les interrogations historiques : elle sert de " révélateur
de tendance " à l'histoire du peuplement et de la mise en valeur
des sols, à l'histoire du droit comme à celle du fait politique
et de la formation des états, à celle de la société
et de l'économie, à celle des structures mentales.
Sans doute André DELEAGE, dans son étude
publiée en 1941 sur La vie rurale en Bourgogne jusqu'au début
du XIe siècle ne traite-t-il pas vraiment le " marché
de la terre ": sans en ignorer l'importance, il le juge seulement secondaire
pour son propos car, pour témoigner du passage du domaine carolingien
à la seigneurie féodale, l'essentiel réside non dans
la qualité des propriétaires (religieux et laïcs sont
issus des mêmes clans et ont les mêmes comportements) ni dans
les structures de production (l'association réserve/tenure est présente
dans le domaine comme dans la seigneurie et la tenure perpétuelle
instaure la propriété utile) mais dans les mutations des
rapports de production : la nature du prélèvement foncier
évolue de la
" production " (prélèvements en
corvées) à la " contribution " (prélèvements
en espèces), la terre est de moins en moins conçue comme
une source de productions, de plus en plus comme une source de revenus.
Cette analyse est reprise et amplifiée
par Guy BOIS. En 1976, dans sa thèse portant sur Economie rurale
et démographie en Normandie orientale du début du XIVe siècle
au début du XVIe siècle, il met en valeur le travail
de sape qu'exerce la pratique du capitalisme, caractérisé
par la séparation du travail et des moyens de production, dans le
monde de la petite production et propriété individuelles.
Il suscite un écart toujours plus grand entre le faible revenu seigneurial
fondé sur l'acensement des terres et le rendement de l'investissement
spéculatif basé sur le bail à court terme. Celui-ci
entraîne l'expropriation des tenanciers et leur prolétarisation
à partir des années 1510-1520 : c'est là le moteur
principal de la crise du féodalisme. En 1989, dans une monographie
portant sur Lournand, village mâconnais de l'Antiquité au
féodalisme, laquelle suscita une belle polémique (cf. Le
Moyen Age, 96-1990, p. 519-537 et Médiévales,
21-1991), il réaffirme que ces mécanismes se mettent en place
avec la seigneurie et qu'ils constituent l'un des marqueurs essentiels
de la mutation de l'an mil.
De même, Michel LE MENE, en 1982, n'aborde
le marché de la terre dans ses Campagnes angevines. Etude
économique (vers 1350-vers 1530) que très rapidement, car
il considère essentiellement les élites et, pour elles, à
la période considérée, l'essentiel des mutations en
la matière est réalisé, la distribution est stabilisée
et les structures d'encadrement socio-économiques en place sont
si solides que mêmes les dures crises du XIVe siècle ne peuvent
vraiment les ébranler :
- effacement précoce, au plus tard dès
le début du XIVe siècle, du faire-valoir direct si bien que
les réserves sont tenues en censive ou, et de plus en plus, baillées
à ferme ;
- stagnation du patrimoine foncier ecclésiastique
constitué et fixé dès la fin du XIIIe siècle
: quelques acquisitions de fonds apparaissent encore mais les liquidités
disponibles sont surtout investies dans l'acquisition de droits ou dans
le crédit (p. 483) ;
- si l'impécuniosité de la noblesse
angevine offre aux parvenus, essentiellement des officiers ducaux et royaux,
l'occasion de se hisser dans la hiérarchie sociale par achats de
terres et de seigneuries, à aucun moment l'ascension de ces nouveaux
venus ne bouleverse l'ordre social car, au total, le nombre des transactions
portant sur des seigneuries ou sur des métairies distraites du domaine
est limité (p. 498-499) ; la coutume au reste, n'autorise les aristocrates
à donner ou à vendre que la tierce partie de leurs terres
et octroie aux membres du lignage un an et un jour pour effectuer un retrait
(p. 495).
En revanche, en 1953, la thèse de Georges
DUBY sur La société aux XIe et XIIe siècles dans
la région mâconnaise offre, au travers des sources de
Cluny si précocement riches, une analyse fine de l'ensemble des
formes que prennent les transferts fonciers, proposant non seulement une
typo-chronologie des phénomènes mais aussi une explication
anthropologique :
- vers 950, la terre est encore largement aux
mains des laïcs, soit les grands domaines comtaux reçus en
bienfait des princes, les moyennes et petites propriétés
allodiales, les tenures qui assurent aussi une stabilité patrimoniale
moyennant un prélèvement.
- à partir de 980 se fait sentir une évolution
en deux temps :
° les partages successoraux égalitaires
finissent par appauvrir la valeur économique des domaines, facilitent
d'abord les donations pieuses à Cluny, provoquent ensuite, à
partir des années 1030, un mouvement de transformations d'alleux
en fiefs ou en tenures. Ces transferts sont animés par un système
de valeur non strictement commercial : le prestige et le pouvoir doivent
se montrer pour subsister, ils se mesurent à l'aune d'une " nécessaire
générosité " qui est une composante essentielle de
la structure sociale en ce sens qu'elle contribue, avec le mariage, à
définir ses groupes basiques, qu'elle aide à identifier les
" amis " et les " ennemis ". Il s'agit de cette
" économie du don " que Georges DUBY achève
de définir dans Guerriers et paysans, VIIe - XIIe siècle;
premier essor de l'économie européenne, Gallimard, Paris,
1973.
Le renouveau urbain et le développement
des puissances d'argent pénètrent le milieu rural à
partir de 1075 : mais les effets sur la maîtrise du sol ne sont vraiment
perceptibles que dans la première moitié du XIIIe siècle.
C'est l'introduction, lentement mais sûrement, d'un nouveau système
de valeur,
" facteur de désordre " : l'économie
de marché.
En 1954, dans la thèse que Jean Richard
consacre aux ducs de Bourgogne et la formation du duché du Xe au
XIVe siècle, le social, l'économique et le culturel sont
subordonnés à l'histoire des pouvoirs (celui des alleutiers,
des seigneurs, des villes et du prince) mais la terre et son marché
sont constamment présents en tant qu'élément central
des patrimoines, des richesses et donc justement des pouvoirs. Tour à
tour sont analysés la puissance et la décadence du monde
allodial, la naissance et la consolidation des empires ecclésiastiques,
la reconstruction du domaine ducal, l'endettement aristocratique et la
spéculation bourgeoise dont Pierre de SAINT-JACOB, en 1960, dans
Les
paysans de la Bourgogne du Nord au dernier siècle de l'Ancien Régime,
observe les avancées et les ravages au cours des décennies
précédant la Révolution.
André CHEDEVILLE, en 1973, présente
une démarche similaire pour Chartres et ses campagnes, XIe-XIIIe
siècles. Les modalités et les prix du marché foncier
y sont révélés dans toute leur complexité :
tant le mouvement de " féodalisation des biens " (p. 289) et le
développement des systèmes d'endettement (p. 460 sq) que
les " marchés protégés " trahissant le poids des liens
sociaux (p. 51-52).
De même Dominique BARTHELEMY : en 1993,
pour ...le comté de Vendôme de l'an mil au XIVe siècle,
il met bien en valeur les mêmes phénomènes, certes
en proposant, comme on le sait en opposition avec les " mutationistes ",
un principe de continuité de part et d'autre de l'an mil. Mais il
insiste aussi, comme Georges Chevrier et Georges Duby, sur l'idée
que la société médiévale a essentiellement
développé des modes de transactions ambivalentes où
se mèlent économies du don et de marché : " ventes
" et " donations " étaient génératrices de ces liens
pérennes qui fondent et caractérisent la féodalité
(rapports horizontaux entre seigneurs et vassaux) et le féodalisme
(rapports verticaux entre seigneurs et producteurs).
Certes, la faiblesse des sources disponibles,
seulement quelques actes de mutation foncière dispersés dans
les cartulaires, ont limité souvent les résultats chiffrés,
sauf pour les périodes basses et quelques niches documentaires antérieures.
Les analyses que fournissent les bas-médiévistes
de la reconstruction des campagnes et du développement de l'investissement
urbain ont en effet une approche quantitative des phénomènes
: ainsi René FEDOU dressant en 1964 le portrait patrimonial des
hommes de loi lyonnais à la fin du Moyen Age, ou Marie-Thérèse
LORCIN présentant en 1974 Les campagnes de la région lyonnaise
aux XIVe et XVe siècles, comme encore Jean-Pierre LEGUAY en 1981
pour Les villes du Duché de Bretagne aux XIVe et XVe siècles,
ou Jean GALLET en 1983 pour La seigneurie bretonne, 1450-1680.
Pour les périodes plus anciennes, ce sont
les enquêtes les plus locales, celles d'une institution et de ses
partenaires, qui ont donné les résultats les plus précis
: sans pouvoir être confondues avec des essais de " micro-histoire
", elles parlent du petit monde des communautés rurales bretonnes
(W. Davis) ou des voisins de Saint-Pierre de Cluny (B. Rosenwein).
Wendy DAVIES, dans Small worlds. The village
Community in early Medieval Brittany paru en 1988, éclaire une
communauté d'avant la mutation féodale. Etudiant 283 chartes
des IXe et Xe siècles du cartulaire de Redon, analysant 6600 personnes
et 1000 lieux-dits répartis sur un territoire de 40km de rayon,
elle a révélé, comme Georges Duby l'avait fait en
son temps et pour la Bourgogne, une société rurale de la
fin de l'époque carolingienne dominée par le faire-valoir
direct d'une paysannerie allodiale. Les transactions y ont une forte valeur
sociale et culturelle, nourrissent ou inaugurent entre les parties des
relations continues.
Quant à Barbara ROSENWEIN, elle publie
en 1989, une belle analyse anthropologique du marché de la terre
en étudiant, à travers 3000 actes issus du recueil des chartes
de Cluny, la signification d'"être le voisin de Saint-Pierre entre
909 et 1049 ". De quelle nature sont ces donations qui ont suscité
un si vaste mouvement de transferts de propriété : du type
plutôt romain et contemporain, c'est-à-dire individuel, définitif
et irrévocable, ou plutôt du type germanique et " primitif
", c'est-à-dire collectif, précaire et partiel ? La réponse
est évidente, les intuitions des prédécesseurs confirmées
: les transferts fonciers servent aux relations sociales, à l'instauration,
au développement et à la consolidation des réseaux
d'alliance. L'acte foncier est un lien qui se tend entre Cluny et ses
" bienfaiteurs ", attache durablement le donateur
(et sa parenté, ses voisins et ses amis) à Saint Pierre et
Saint Paul, s'inscrit dans une économie du don tel que les anthropologues
l'ont définie, telle que Georges Duby l'a suggérée.
En somme, le marché de la terre a inspiré
trois types d'approche qui se sont développées plutôt
parallèlement en fonction des écoles historiques et des ressources
documentaires, même si chaque génération d'historiens
a globalement privilégié l'une d'entre elles :
* l' approche la plus ancienne, institutionnelle
et politique, positiviste : le marché de la terre comme révélateur
du droit ;
* l'approche économique et sociale, marxiste
ou libérale : le marché de la terre comme marqueur des "
rapports de production " ;
* l'approche, anthropologique, largement inspirée
du structuralisme : le marché de la terre comme témoins des
usages et des valeurs.
D'autre part, la recherche a clairement identifié
les facteurs d'animation du marché foncier :
* la piété des laïcs et la
constitution des temporels ecclésiastiques aux VIIIe - XIIe siècles.
* du domaine carolingien à la seigneurie
féodale, chronologie d'une mutation (véritable ou apparente
?) entre VIIIe et XIIe siècle.
* la monarchie féodale et la reconstruction
du domaine aux XIIe - XIIIe siècles.
* l'endettement aristocratique, la prolétarisation
des paysans et l'investissement bourgeois du XIIIe au XVIe siècle.
Enfin, elle a révélé quelques
uns des concepts et des comportements qui régissent le marché
de la terre. Certaines des oppositions qu'ils simulent paraissent seulement
apparentes, les autres bien réelles.
* des oppositions apparentes et donc une structure.
ECONOMIE DU DON/ ECONOMIE
DE MARCHE :
Sans doute avec le don l'échange n'est-il
pas seulement économique mais aussi social, culturel : il associe
donc définitivement les partenaires , au contraire du marché
qui est dissociatif, exclusif. Mais la documentation montre que la plupart
des transactions sont " enchâssées " dans le don, selon l'expression
de G. Chevrier, reprise par D. Barthélemy.
ALLEU/CENSIVE :
La censive instaurant la propriété
et l'hérédité du bien correspond à la définition
de la propriété ; par souci de précision juridique,
on doit la qualifier d'utile pour la différencier de l'éminente
mais l'essentiel n'est pas là.
DOMAINE carolingien /SEIGNEURIE
féodale :
La même structure de production les caractérise
: des tenures en échange de prestations sur la réserve. La
différence n'est pas foncière mais tient à la mise
en place de la seigneurie banale.
VENTE/ALIENATION :
Au moins entre Loire et Seine, l'exogamie foncière
est une prohibition centrale dans les comportements sociaux. Mais un riche
ensemble de pratiques de substitution, aliénant partiellement et
temporairement le bien, permet de la contourner et structure majoritairement
le marché de la terre.
* De vraies oppositions et donc des changements.
SERVICE/CONTRIBUTION:
Il s'agit de la nature du prélèvement
sur la tenure et donc du rapport de production : entre VIIIe et Xe siècle,
toujours moins de services, toujours plus de rémunération
du capital. Le domaine carolingien est un outil de production de biens
de consommation, la seigneurie devient, certes progressivement, une source
de revenus.
CENSIVE/RENTE :
Il s'agit de l'application pratique du point
précédent : passage de la censive, assurant la stabilité
à faible revenu à la rente instaurant la précarité
à haut rendement.
FORTUNE IMMOBILISEE/CAPITAL
MOBILE ou bien ENDETTEMENT paysan et aristocratique/INVESTISSEMENT bourgeois
:
Introduction du capital marchand mobile et donc
d'une pratique spéculative, dans une économie où la
fortune est immobilisée dans la terre et la pratique consommatrice.
Reste une faiblesse de la recherche, qui est
d'abord celle de la source : les séries chiffrées sont courtes
et donc les analyses statistiques restent minces : les possibilités
d'une approche économétrique constituent évidemment
l'enjeu majeur de cette rencontre.<:p>
III - NOTES DE LECTURE
1 - La piété
des laïcs et la constitution des temporels ecclésiastiques
(VIIIe - XIIe siècles).
1953 - G. DUBY, La société
aux XIe et XIIe siècles dans la région mâconnaise,
EHESS, Paris, rééd. 1982.
Il n'est pas un finage du Mâconnais où
les communautés religieuses n'aient gagné quelque chose.
Elles éliminent une part non négligeable des premiers possesseurs
du sol au Xe siècle.
1954 - J. RICHARD, Les ducs de Bourgogne
et la formation du duché du Xe au XIVe siècle, Paris.
L'abbaye bénédictine de Flavigny,
fondée au VIIe siècle avait été spoliée
par les Francs d'Austrasie, subit l'abbatiat des laïcs au IXe et celui
de l'évêque d'Autun à partir de 877. Puis vint la réforme
de Cluny et entre en scène l'Abbé Amédée entre
1010 et 1038 : il acquiert le prieuré de Couches, récupère
ceux de Semur, Beaulieu et Corbigny, s'empare du château de Salmaise,
rase celui de Passavant, obtient la donation de 19 autels paroissiaux avec
leur dîme, condense le domaine en prêtant en précaire
des terres éloignées, ou en les échangeant (nécrologe
de Flavigny p. 285).
Les domaines épiscopaux, tel celui d'Autun,
furent nourris des donations de leurs titulaires, tous issus de grandes
familles (testament de Saint Léger en 677, donation des évêques
Jonas en 858, Auger avant 879, Hervé en 920 - et il serait bon de
reprendre ces documents collationnés dans le cartulaire de l'église
d'Autun pour en étudier les modalités (I-80 ; II 32, 21,
42).
Les évêques surent aussi défendre
au mieux leur patrimoine en achetant des forteresses et en les instituant
en fief épiscopal, au besoin même contre d'autres ecclésiastiques
: les châteaux de Touillon, entre 1113 et 1116 - cartulaire I 4/5)
et de Thoisy-la-Berchère avant 1172 (cartul. de l'évêché
p. 247 et 254) furent vendus par leur seigneur ; après une longue
lutte, le monastère de Flavigny et sa forteresse étaient
réduits à la condition d'un fief épiscopal (De Charmasse,
" Flavigny et les évêques d'Autun ; Cartul, p. 14-17).
Le patrimoine ecclésiastique, très
agrandi au XIIe siècle grâce à l'afflux de donations,
poursuivait son accroissement, peut être en recourant davantage aux
achats qu'aux acquisitions à titre gracieux. Un exemple, Cîteaux
au travers du répertoire numérique des Archives départementales
de la Côte d'Or - 11 H Abbaye de Cîteaux - (Dijon, 1950), où
les modalités d'acquisition de chaque domaine sont indiqués
(p. 232).
Les trésors étaient suffisamment
remplis pour mettre à la disposition de leur détenteur une
masse de numéraire (p. 58).
1989 - B. H. ROSENWEIN, To Be the Neighbor
of Saint Peter. The Social Meanings of Cluny's Property, 909-1049,
Cornwell Univ. Press, Ithaca & London.
Les dons suscitent un vaste mouvement de transferts
de propriété ; mais de quel type ? Du type plutôt romain
et contemporain, c'est-à-dire individuel, définitif et irrévocable
ou plutôt du type germanique et " primitif ", c'est-à-dire
collectif, précaire et partiel ?
Le livre reprend les débats d'une historiographie
abondante, celle des donations ; il les prolonge en y introduisant la démarche
anthropologique (chap. 1 p. 35 sq.)
Il est depuis longtemps et pour tous évident
que les transactions foncières ne pouvaient être seulement
qu'économiques et qu'il fallait penser à d'autres motivations
plus ou moins explicites :
- générosité et
pensée eschatologique ; de la terre en échange de prières
(Herbert Edward John COWDREY,
" Unions and Confraternity with Cluny ", Journal
of Ecclesiastical History 16 - 1965, p. 152-162).
- gestion des patrimoines : les familles dotent
leurs enfants entrant dans les ordres et continuent ainsi d'exercer quelque
contrôle sur des biens qui, de toute façon, auraient été
d'une manière ou d'une autre aliénés (Joachim WOLLASCH,
" Parenté noble et monachisme réformateur : observations
sur les " conversions " à la vie monastique aux XI e et XII e siècles
", Revue Historique, 264 - 1980, p. 3-24.)
- réseaux des relations personnelles :
du fait de leurs relations familiales, locales, régionales et autres,
les abbés et moines attirent de nombreuses donations au titre des
liens personnels (Maurice CHAUME, " En marge de l'histoire de Cluny ",
Revue
Mabillon, 29-1939, p. 41-61 & 30-1940, p. 33-62).
- crises morales : l'opposition entre style de
vie guerrier et aspirations à la perfection de la vie aristocratique
suscite parmi les milites des crises morales calmées par les donations,
en application de l'idéal du dépouillement permettant de
communier avec l'idéal monastique (Constance BOUCHARD, Sword,
Miter ans Cloister : Nobility and the church in Burgundy, 980-1198,
Cornwell University Press, Ithaca, N.Y., 1987).
- économie du don : cette formulation
anthropologique a été proposée en 1970 par Georges
Duby pour décrire un système d'échanges non commercial,
actif au cours du haut Moyen Age aux côtés de l'économie
monétarisée et de marché, dans lequel le prestige
et le pouvoir se mesurent à l'aune de la générosité
: les riches propriétaires devaient démontrer leur statut
et maintenir leur prestige au travers des largesses qu'ils distribuaient,
notamment aux moines ; et les moines pouvaient vivre en bonne conscience
avec toute cette richesse et puissance car, eux aussi, entretenaient l'idée
que les dons généraient du prestige et étaient les
moyens appropriés à leur fonction spirituelle. D'autre part,
cette " nécessaire générosité " était
une composante essentielle de la structure sociale en ce sens qu'elle contribuait,
avec le mariage, à définir ses groupes basiques, qu'elle
aidait à identifier les " amis " et les " ennemis " (Georges DUBY,
Guerriers
et paysans, VII e - XII e siècle; premier essor de l'économie
européenne, Gallimard, Paris, 1973.)
A Cluny, les caractéristiques des transactions
sont évidentes :
° certains terrains ne sont l'objet que d'une
transaction, d'autres de plusieurs ;
° ce sont les mêmes personnes qui à
la fois donnent et reprennent ;
° il y a beaucoup moins de donateurs que
de dons : c'est que certains groupes familiaux interviennent longuement,
entretiennent sur plusieurs générations leurs relations avec
Cluny.
° le tiers des transactions s'effectue avec
réserve d'usufruit : les considérations économiques
sont présentes sans doute mais se créé, durablement
et quotidiennement, un nouveau voisin, une relation privilégiée.
Bref, les villae ne sont pas seulement
des exploitations ou des habitats, des sources de revenus, elles ont aussi
une signification sociale : les transferts dont elles sont l'objet servent
aux relations sociales, à l'instauration, au développement
et à la consolidation des réseaux d'alliance, aux déclarations
de paix et de guerre.
L'acte foncier est un lien qui se tend entre
Cluny et ses " donateurs " ou, plus précisément, la terre
attache durablement le donateur (et sa parenté, ses voisins et ses
amis) à Saint Pierre et Saint Paul (p. 4-5).
C'est ce lien que (l'auteur) appelle la signification
sociale de la propriété clunisienne car si la dimension religieuse
est évidente, explicite, elle n'est pas unique : la transaction
est aussi une affaire réalisée avec un voisin, elle établie
une relation, de surcroît complexe car...ce sont les groupes familiaux
et de voisinage plutôt que les individus qui contrôlent la
propriété (p. 8).
Les démarches de Georges Duby et de Barbara
Rosenwhein ont bien évidemment été influencées
par les anthropologues :
Marcel MAUSS, " Essai sur le don : forme et raison
de l'échange dans les sociétés archaïques ",
L'année sociologique, 1-1923, p. 30-186 : Le don et le contre-don
doivent être envisagés comme un système de relation
sociale basé sur les échanges réciproques de biens
et, finalement, sur le partage de biens car ce qui est donné n'est
jamais totalement abandonné et ce qui est reçu n'est jamais
totalement approprié : car le don ne doit pas séparer mais
au contraire associer, il se substitue à la violence dans les relations,
il pacifie, en en ritualisant les expressions, l'esprit de compétition,
la rivalité qui naît des contacts avec les "autres".
Daryll FORDE & Mary DOUGLAS, " Primitives
Economies ", in George DALTON ed., Tribal and peasant economies : Readings
in Economic Anthropology, Garden City, N.Y., Natural History Press,
1967, p. 3-18 : La différence essentielle entre don et achat/vente
est que le premier objet de l'échange de dons est la construction
d'une relation sociale alors que dans l'achat et la vente toute continuité
sociale entre les parties est accidentelle.
C.A. GREGORY, " A Conceptual Analysis of a Non-Capitalist
Gift Economy with Particular Reference to Papua New-Guinea ", Cambridge
Journal of Economies, 5-1981, p. 119-135 : L'élément
essentiel de l'échange de dons c'est la reproduction de stratégies
: les systèmes d'échanges de femmes établissent la
domination ou la subordination de clans sur d'autres.
2 - Du domaine carolingien
à la seigneurie féodale, chronologie d'une mutation (VIIIe
- XIIe siècles).
1941 - A. DELEAGE, La vie rurale en
Bourgogne jusqu'au début du XIe siècle, Mâcon.
La prépondérance économique de l'agriculture et la
primauté de l'investissement foncier comme forme de capitalisation
portent le chercheur à poser la question de la répartition
de la terre. Question décevante et, de plus en plus à mesure
qu'on avance dans le Moyen Age, fausse question au Xe siècle : la
terre royale a disparu ou presque (1%) et la terre des communautés
paysannes ou urbaines est à peu près nulle (2%). Les seules
catégories officielles sont la terre d'église (42%) et la
terre des particuliers (55%). Mais cette opposition est de pure forme :
la terre d'un saint de paroisse cultivée par un prêtre paysan
ne se distingue en rien d'essentiel de la terre des familles paysannes
du même village, des frères et des cousins du curé
laboureur ; de même et à l'opposé, les terres d'un
saint cathédral ou abbatial ne sont guère séparables
de celles des grandes familles de la région qui peuplent les chapitres
de leurs membres et qu'ils enrichissent de leurs terres quitte, souvent,
à les reprendre, jouissant ainsi de celles-ci dans les deux cas,
par le froc ou par l'épée.
Les vraies réalités sont, d'une
part l'exploitation paysanne en tenure, d'autre part la seigneurie exerçant
d'une manière ou d'une autre un prélèvement sur la
première. Le rapport évolue très lentement du VIIIe
au Xe siècle. Le prélèvement en force de travail sur
les tenanciers des manses est d'abord très lourd, de deux à
trois jours par semaine sur la réserve, puis s'allège, devient
mensuel puis annuel (p. 691 sq.)... Finalement la seigneurie du début
du XIe siècle n'est plus comme la carolingienne un système
de taxes et surtout de services destinés à l'exploitation
d'une grosse réserve mais désormais une source de revenus
: le meix est beaucoup moins une force de travail qu'une puissance contributive
(p. 355).
1953 - G. DUBY, La société
aux XIe et XIIe siècles dans la région mâconnaise,
EHESS, Paris, rééd. 1982. La désagrégation
des patrimoines laïcs, le dépouillement des fils ou petits-fils
est manifeste... et parmi les fils de hobereaux de 950, nombreux sont des
paysans besogneux, contraints de travailler eux-mêmes le peu de terres
qui leur reste (p. 70). A la fin du Xe siècle, le trait le plus
marquant de l'histoire économique est bien l'appauvrissement constant
des laïcs. Certes le trait est exagérément grossi par
nos moyens d'observation ; les documents ecclésiastiques montrent
seulement ceux qui se ruinent en aumônes ; les autres, ceux qui gardent
leur bien, n'apparaissent pas (p. 72). Mais il est vrai qu'à la
fin du XIe siècle, l'alleu se maintient et même progresse
du fait des défrichements... Finalement, les fortunes foncières
se sont stabilisées et s'est la mise en place de la seigneurie banale,
exploitation privée des pouvoirs de commandement qui change tout
(p. 261).
1954 - J. RICHARD, Les ducs de Bourgogne
et la formation du duché du Xe au XIVe siècle, Paris.
Le caractère allodial est si marqué en Bourgogne que la coutume
rédigée au XVe siècle consacrera " la présomption
d'allodialité " : en ce pays toute terre sera présumée
un alleu jusqu'à ce que le seigneur ait pu fournir la preuve du
contraire
Certes l'alleu est très menacé
dès les XIe-XIIe siècles : les acquisitions réalisées
par les abbayes dans ces alleux révèlent un partage extrême
de ces terres entre une multitude d'ayant-droits tous plus ou moins apparentés...Ce
partage favorise la tâche des abbayes et des autres églises
car ces domaines morcelés ont perdu beaucoup de leur intérêt
économique. Affaibli, l'alleutier est souvent contraint d'aliéner
son domaine à un seigneur dont il se fait le vassal en reprenant
son bien en fief (p. 103).
1988 - W. DAVIES, Small worlds. The
village Community in early Medieval Brittany, Londres. Un marché
de la terre somme toute mesuré, essentiellement animé par
des échanges en vue de remembrements de propriétés
dispersées, de dons (grants) avec la constitution du temporel de
Redon, mais aussi d'achats et de prêts sur gages fonciers (pledges)
pour répondre à une demande de numéraire entretenue
par le prélèvement des administrateurs bretons et carolingiens,
par les demandes de rançon des pillards Vikings (p. 53).
Mais le volume des transactions est suffisamment
important pour susciter un petit mouvement de concentration des biens et
accentuer la hiérarchie sociale : sur 427 propriétaires identifiés
au total, 101 soit 23%, contrôlent plus d'une propriété
; le nombre des tenures, faible encore (9,5% des effectifs) augmente sensiblement
après 860 par aliénation d'alleux (15% des transactions dans
les années 830-850, 30% dans les années 860, 10% dans la
décennie suivante) ; les serfs apparaissent mal dans la documentation
mais les serfs propriétaires, censitaires, sont signalés
par le terme " hereditas ".
Le prix du foncier est souvent très bas
: 8, 14, 20 sous pour un " ran " (manse), soit le prix de 8 cochons ou
trois vaches. Souvent le prix de vente ou l'évaluation du prêt
sur gage est égal à la valeur du revenu attendu de la rente
sur 15 ou 20 ans, pas plus et souvent moins. Tout suggère que l'argent
était difficile à trouver et que le volume des transactions
était de cette manière limitée. Mais ces transactions
ne semblent pas être uniquement de type commercial dans le sens moderne
: sans doute d'autres facteurs, cachés, influaient, la transaction
confirmant ou inaugurant entre les deux parties quelques bénéfices
mutuels, quelques relations continues.
1989 - G. BOIS, La mutation de l'an
mil : Lournand, village mâconnais de l'Antiquité au féodalisme,
Paris.
Le domaine et les manses étaient des outils
de production, la seigneurie et les tenures sont des sources de revenus.
Voilà qui va saper les fondements du féodalisme caractérisé
par la prédominance de la petite production et propriété
individuelles ; voilà qui permet l'introduction du capitalisme dans
le monde rural, caractérisé par la séparation du travail
et des moyens de production. Les mécanismes sont en place autour
de l'an mil, n'ont plus qu'à attendre la convergence des effets
de l'endettement aristocratique, de l'enrichissement bourgeois et des turbulences
économiques des crises de la fin du Moyen Age pour que les effets
s'emballent.
1993 - D. BARTHELEMY, La société
dans le comté de Vendôme de l'an mil au XIVe siècle,
Paris.
p. 44 : La " manufirma ", héritière
de l'emphytéose, par adaptation évolutive et coutumière
du droit romain ; cession de l'usufruit, avec rénovation quinquennale,
à condition d'améliorer le fonds (VIIIe siècle) --->
la rétrocession à cens d'un bien qui vient d'être donné
est encore l'un de ces grands usages dans le Vendômois du XIe siècle
: continuité et non mutation !
p. 48 : Les cens de " manufirma " au X-XIe siècle,
1 denier environ par arpent de labour, 10 deniers environ pour 1,5 arpents
de pré ; le rapport entre cens et prix de vente est directement
estimable dans sept cas, varie de 1 à 14,5 et 1 à 40 = cens
important, non recognitif.
p. 51 : Les cens de vente et de donation, une
apparente étrangeté, bien attestée toutefois, car
les expressions " vendere " et " precio concedere " apparaissent synonymes
et, sinon la perpétuité, il n'y a guère de différence
entre la " vente " et la " cession en mainferme ".
p. 52 : De même trouve-t-on mention de
" census donationis ".
p. 53 explication : La société
de l'époque répugne en principe aux aliénations, mêmes
payées à prix et religieusement rétribuées....
Le cens serait à la fois ce qui rend tolérable l'aliénation
(le concédant garde quelque chose sur le bien et souligne son droit
de reprise) et ce qui la rend effective (le bénéficiaire
a droit de jouir du bien tant qu'il le paie). En d'autres termes, la précarité
de l'aliénation et, à travers elle toute une notion du lien
substantiel entre l'homme et sa terre, antithétique du concept abstrait
de propriété, est ce qui rend possible, idéologiquement,
l'institution d'un rapport de type seigneurial. la seigneurie foncière,
en effet, repose moins sur un partage des droits que sur la précarité
théorique du droit du tenancier. le donateur ou vendeur (réel
ou théorique) fonde sa prééminence, sa " seigneurie
", toujours conçue en dernière analyse comme un attribut
de sa personne, sur le maintien de l'autre en état d'infraction
et de redevabilité.
p. 53-54 : entre 1060 et 1070, des ventes sans
prix et... dès avant 1060, les ventes coexistent souvent avec des
dons qui les complètent (transactions mixtes p. 700). Dans la pratique
sociale effective...l'acte fondamental est le " donum " (de part et d'autre
de l'an mil !)
p. 692 : L'idée même de l'aliénation
heurte l'idéal noble...
Dans les cartulaires des XIe-XIIe siècle,
prédominance du don : c'est un lieu commun car (p. 693), en 1949,
Georges Chevrier aopposé dans les chartes bourguignonnes une situation
carolingienne caractérisée par une bonne distinction entre
la libéralité et la vente ... " eu égard à
l'obligation des garanties et aux sanctions ", à la situation de
la fin du XIe et du XIIe où " le don est devenu le genre anonyme
où s'enchâsse toute opération juridique " (Georges
CHEVRIER, " Evolution de la notion de donation dans les chartes de Cluny
du XIe au XIIe siècle ", A Cluny (Congrès scientifique,
1949), Dijon, 1950, p. 203-209) ---> Mais il s'agit des faux semblants
d'une mutation de l'échange : mutation des moeurs scripturaires
plus que des réalités.
p. 697 : un marché restreint, car il faut
prendre tout à fait au sérieux l' " auctoramentum " (octroi)
du seigneur aux aliénations de terre.
p. 698 : L'expression de " marché libre
" conviendrait peu aux ventes et aux dons, car retraits lignagers ou féodal
et droits de préemptions sont souvent évoqués. Au
delà, trouve-t-on une " vraie concurrences " ? On n'en a pas le
sentiment car (p. 699), l'inégalité de rang est un handicap,
la noblesse à une liberté qui frise la licence et que le
reste de la société n'a pas ; le marché est très
orienté par un ordre de préséance des partenaires,
et le prix officiel est déterminé, quoique renégocié
après coup. La vente ne cesse de se mêler à d'autres
transactions. en réalité, il n'y a qu'un marché unique,
restreint, de la vente et du don.
3 - La monarchie féodale
et la reconstruction du domaine (XIIe - XIIIe siècles).
1954 - J. RICHARD, Les ducs de Bourgogne et
la formation du duché du Xe au XIVe siècle, Paris. Une
nécessité pour acquérir des ressources financières
nécessaires à la pérennité du pouvoir féodal
et à l'émergence d'une souveraineté territoriale.
Les ducs du Xe siècle sont pauvres : les
troubles ont favorisé l'autonomie de nombreux châteaux, les
inféodations ont fait le reste. La reconquête débute
au XIe siècle et, avec le duc Robert Ier, tous les coups sont permis
: pour (re)prendre le comté d'Auxois, il épouse une fille
de Damas de Semur, assassine son beau-père en 1039 puis son beau-frère...En
1098, Semur est administré par un prévôt ducal.
Echanges, achats, annexions, mariages, reprises
de fiefs justifiés ou non se multiplient, le domaine s'agrandit
considérablement et, au début du XIVe siècle, il devient
intangible, ne peut plus être démembré, détaché
de la dignité ducale (p. 143 sq).
L'une des difficultés de gestion consistait
dans le morcellement de ce patrimoine : aussi la tendance fut nette au
XIIIe siècle à constituer par achat de vastes exploitations
compactes, notamment un clos de vigne à Chenôve de 50 hectares,
par défrichement aussi et l'installation de villages neufs, notamment
les Abergements du lit majeur de la Saône avec constitution de vastes
prairies en réserves (p. 329).
4 - L'endettement aristocratique,
la prolétarisation des paysans et l'investissement bourgeois (XIIIe
- XVIe siècles).
1953 - G. DUBY, La société
aux XIe et XIIe siècles dans la région mâconnaise,
EHESS, Paris, rééd. 1971, 1982. Avec le numéraire
et les métaux précieux, c'était un facteur de désordre
qui pénétrait dans la société. Elle venait
de s'organiser dans un milieu où seule comptait la fortune terrienne
; sa hiérarchie s'appliquant exactement à celle des patrimoines
fonciers qui allaient se stabilisant...les héritiers des lignages
les mieux pourvus de terres dominant et exploitant les pauvres...C'était
en s'adaptant à une économie fondée sur la possession
et le travail du sol que la société féodale avait
trouvé son équilibre. Et voici qu'apparaissait une forme
de richesse beaucoup plus mobile...Le mouvement de l'argent menaçait
de desserrer les liens familiaux. L'équilibre des fortunes, assise
de la hiérarchie sociale, risquait d'être rompu par le trafic
des biens meubles. En réalité, ses effets dissolvants ne
sont pas encore sensibles à l'orée du XIIe siècle.
La structure de la société ne semble pas encore modifiée
par l'accroissement des échanges et de la circulation monétaire
pourtant sensible depuis 25 ans. Pour le moment, la renaissance des villes
et du commerce n'est pas à la campagne un élément
de crise mais un stimulant qui introduit la prospérité dans
toutes les classes économiques (p. 281-282).
Les relations entre l'aristocratie, l'église
et la bourgeoisie sont nombreuses mais si les chapitres sont peuplés
de cadets de lignages marchands, aucun bourgeois au XIIe siècle
ne parvient à la noblesse. Parce que la chevalerie est une caste
fermée et qu'il ne suffit pas pour y entrer d'être riche et
apte au métier militaire...La fortune du bourgeois est presque essentiellement
mobilière et individuelle... C'est aussi sa chance et à Mâcon
la supériorité de cinq lignages se dessine à l'extrême
fin du XIIe siècle : ils paraissent avoir pratiqué plus tôt
que les autres le prêt sur gages fonciers et pénétré
les grands chapitres urbains, ils sont entrés dans le service et
la fidélité des aristocrates. Le préjugé nobiliaire
les exclut encore de la chevalerie mais elles seront les premières
au XIIIe siècle à en forcer l'entrée (p. 316).
Pour mesurer l'évolution de l'ampleur
des transactions foncières, il suffit de dépouiller n'importe
quel fonds ecclésiastique : jusqu'au milieu du XIe siècle,
il ne contient à peu près que des actes de donation ; au
XIIe, les règlements, les accords et les procès prédominent
; mais depuis 1160 les notices d'achat, de prêts sur gages deviennent
plus nombreuses ; après 1200, elles sont en majorité et dans
la seconde moitié du XIIIe on ne voit presque plus qu'elles.
Le capital foncier entre dans le circuit des
échanges par le développement des moyens techniques de le
mobiliser : le mort-gage, le prêt sur simple lettre garantie sur
le foncier, surtout la vente de rentes, apparaissant dès 1120 pour
des motifs pieux de fondations d'anniversaire sans aliénation du
patrimoine et se diffusant ensuite sur l'ensemble des motivations des créances
(p. 365-366).
Les moines et leurs rentes foncières,
comme les seigneurs les plus importants et leurs revenus banaux résistèrent
un temps mais la hausse des prix et la nécessité de maintenir
son rang subissant une inflation très nette à partir du milieu
du XIIe siècle (renouveau princier, croisades...), apporta les conditions
d'un appauvrissement, d'un endettement, d'abord sélectif puis général
ou presque obligeant à entamer le capital, entraînant donc
un accroissement du volume des transactions foncières selon une
chronologie claire :
- aux alentours de 1205 le chevaliers ne paraissent
pas emprunter davantage mais ils ne peuvent plus prêter ;
- à partir de 1230, ils commencent à
vendre, parcelle par parcelle, non pas la réserve mais la censive
qui ne leur rapporte guère (p. p. 375 sq).
Même orientation du patrimoine paysan :
emprunts pour faire face à une mauvaise conjoncture ou a un investissement
au prix d'abord d'une rente sur un alleu, puis d'une reprise d'alleu en
censive après 1230, parfois la vente du train de labours ou du fonds,
la perte d'autonomie et la prolétarisation et le paupérisme.
Tout cela profite à quelques laboureurs
biens nantis, à des seigneurs entreprenants délaissant le
cens au profit de la rente et aliénant ainsi même quelque
partie de leur réserve, aux bourgeois enrichis dans le commerce
ou les ministères qui, fin XIIe siècle, investissent dans
l'immobilier, moins à la ville finalement, car le sol y est largement
aux mains des ecclésiastiques, qu'à la campagne : l'expropriation
des paysans et l'introduction des bourgeois dans le système féodal
sont évident bien que non mesurables après 1250 (p. 391 sq).
Le roi lui même, dont l'autorité
régalienne fut réinstaurée en trois chevauchées
(1166, 1171 et 1180), installa des officiers bientôt prêteurs,
acheta aussi des seigneuries (p. p. 415).
Il existe bien deux âges féodaux.
L'expression est de Marc Bloch qui plaçait la charnière entre
deux périodes dans le courant du XI e siècle, au moment où
se manifestent les premiers effets de la révolution économique.
C'est bien vers 1050 que le milieu commence à se transformer mais
le bouleversement de la structure sociale elle même est plus tardif.
Les documents du Mâconnais nous invitent à adopter une autre
chronologie et à situer entre 1160 et 1240 le moment où le
temps des fiefs, des censives et des principautés féodales
succède à celui des châtellenies indépendantes
(p. 482).
1954 - J. RICHARD, Les ducs de Bourgogne
et la formation du duché du Xe au XIVe siècle, Paris.
Même le duc est parfois gêné : en 1219, la duchesse
Alix de Vergy doit aliéner une portion du domaine, vendre le fief
de Dancevoir pour 100 livres qui furent aussitôt employées
au remboursement d'une dette contractée par Eudes III envers le
prévôt d'Auxerre (p. 363). Mais c'est lui tout de même
le grand bénéficiaire de la ruine des aristocrates.
Dans la très grande majorité des
cas connus, ce sont les besoins financiers des seigneurs bourguignons qui
expliquent pourquoi ils ont mis leur terre en vente : Brancion, à
partir de 1255, vendent toutes leurs seigneuries bien que le duc en 1225
s'était chargé de toutes leurs dettes. Les croisades sont
incriminées mais les bourguignons prennent la croix une dernière
fois en 1248 et c'est surtout après que l'endettement s'accélère,
sans doute à cause du développement exponentiel et du dérèglement
du système du crédit : au XIIe siècle, les prêts
sont garantis par la remise en gage de terres dont le produit annuel servait
d'intérêt au prêteur si bien que les emprunteurs ne
pouvaient s'endetter au dessus de leur moyen. A la fin du XIIe siècle,
les prêteurs professionnels se répandent et, avec les Juifs
et les Lombards, les bourgeois et les officiers ducaux se mettent à
avancer aux gentilshommes des sommes de plus en plus importantes que la
documentation permet d'étudier :
Jasnot de Montbard, prêteur juif, compte
parmi ses débiteurs Jehan de Nesle qui s'acquitte en 1267, Robert
de Fulvy qui lui vend un clos et un pressoir en 1270, Jean d'Ancy-le-Franc
qui constitue en sa faveur une rente de 40 livres sur ses blés en
1278, Guillaume de Melle, sire d'Epoisses qui lui emprunte 600 livres en
1279, Etienne de Mont-Saint-Jean qui lui a acheté à crédit
200 muids de vin en 1290, Philippe de Vienne, sire de Pagny, qui promet
en 1301 de lui rembourser 1200 livres...
Pierre d'Autun, officier ducal et bailleur de
fonds, laisse à son fils Simon une masse de créances qu'énumère
un acte très instructif daté du 6 janvier 1317 (Arch. Nat.
T 201 180) : les plus grands seigneurs du duché sont ses débiteurs
pour des sommes allant de 50 à 1300 livres ; le principal est Guillaume
des Barres qui devait finir par donner sa fille au fils aîné
de Simon, avec une part de ses seigneuries pour dot.
Sans doute est-ce cet excès poussé
à l'extrême qui a valu aux descendants des Mauregard de Mirebeau,
totalement ruinés dès le milieu du XIIIe siècle, leur
surnom de " fou de Vesvres " , (p. 313 sq) et d'être immortalisés
dans une Chronique du début du XIV e siècle suggestivement
intitulée La roue de la fortune ou chronique de Grancey, éditée
à Chaumont en 1857. Les nobles, selon une formule courante d'une
imprécision redoutable, se contentaient d' " obliger tous leurs
biens " au remboursement de leurs dettes.
l'aliénation d'alleux en reprise de fiefs
permettait de tenir quelque temps ; en suite c'était la " gageria
" ou engagement du fief par le vassal à son seigneur, le temps du
remboursement de la dette, le seigneur engagiste percevait le fruit du
fief ; la vente finissait par arriver et le duc de Bourgogne comme les
manieurs d'argent, ont su profiter de ce mouvement (p. 313-314).
1960 - P. de SAINT-JACOB, Les paysans
de la Bourgogne du Nord au dernier siècle de l'Ancien Régime,
Dijon.
Généralement, on s'en tient à
la valeur juridique des mots et on considère que la propriété
est la liberté de jouir perpétuellement du bien et de le
transmettre. Aussi oppose-t-on le propriétaire à celui dont
la possession est précaire et limitée dans le temps, au "
fermier ", au " rentier ", au " grangier ", au " cultivateur ". C'est l'attitude
de tous les enquêteurs : pour eux tout censitaire est propriétaire
(p. 22 sq).
La censive a eu longtemps la faveur des propriétaires
mais le cens est une servitude qui pèse sur la valeur de la terre
: en 1732 à Ouges, grange dépendant de Cîteaux (11H481),
63 journaux de terre sont renseignés, dont 32 libres de tout prélèvement
: ceux-ci sont évalués à 120 livres le journal ; les
31 journaux censables sont évalués globalement à 1420
livres, soit 41 livres le journal. Certes la comparaison est sans doute
quelque peu biaisée puisque la première estimation est unitaire,
la seconde globale ; mais l'écart est trop grand pour résulter
seulement de ce fait. Il est certain que les rendements et donc les profits
escomptés d'une terre soumise au cens sont bridés. Aussi,
vers 1685, on ne compte plus qu'un propriétaire sur 5 à 6
laboureurs : grangiers, métayers et fermiers ont largement remplacé
les censitaires, le bail à rente, courant sur 3, 6 ou 9 ans selon
le rythme de l'assolement, s'est répandu au détriment du
cens perpétuel. Les exploitations agricoles sont essentiellement
tenues temporairement et à part de fruit, la propriété
est extérieure. C'est de la ville qu'est venue l'argent accapareur
de la terre, non seulement de Dijon mais aussi de toutes les petites cités
commerçantes qui dessinèrent autour d'elles une auréole
de propriétés urbaines quasi totale (p.45), acquérant
les fonds à la faveur de l'endettement, au détriment de la
propriété paysanne (p. 48). Ce sont les titulaires d'offices
bien rémunérés, les rentiers et les gros marchands
qui peuvent s'offrir ses placements ; le laboureur moyen, soumis annuellement
à un prélèvement équivalent au prix d'un journal
de bonne terre, ne peut participer à ce marché. (p. 166).
1964 - R. FEDOU, Les hommes de loi
Lyonnais à la fin du Moyen Age, Lyon.
Ils ont des liquidités qu'ils investissent
dans les meubles (argenterie, mobiliers), dans le crédit mais aussi
dans le foncier, surtout en ville mais aussi à la campagne (15%
du capital global investi). Le choix se reporte sur les terres les plus
rentables : prés et vignes. Le faire-valoir indirect et l'arrentement
dominent largement.
1974 - M.Th. LORCIN, Les campagnes
de la région lyonnaise aux XIVe et XVe siècles, Lyon.
En 1388, le capital lyonnais investi hors de
la ville est d'environ 53500 livres, immobilisé dans 380 pièces
de terre totalisant 480 hectares (30%), 607 pièces de vignes couvrant
878 hectares (55%), 113 prés couvrant 288 ha (15%), 400 immeubles
(maisons, granges, moulins, colombiers) et 65 biens divers (vergers, jardins,
bois...). Des 938 chefs de famille enregistrés, 403 (43%) possèdent
des biens extra-muros (p. 369): beaucoup d'artisans (64%), un petit
tiers de " tertiaires " surtout des notaires, le reste (8% tout de même)
essentiellement des salariés " gagne-deniers " (p. 374).
Ce n'est malheureusement que sur 10% à
peine des 1500 bien recensés que l'on peut deviner le mode de faire-valoir
: on trouve de tout, de l'exploitation directe, l'acensement, et du sous
acensement établissant une rente, le métayage (p. 381).
L'investissement n'est pas négligeable
mais c'est peu en regard de la surface : 7 à 10% aux portes de la
ville et dès que l'on dépasse cette zone sub-urbaine, le
taux s'effondre à 3 ou 4% (p. 382).
A la fin du XV e siècle, le patrimoine
urbain s'est développé et les paroisses limitrophes comptent
désormais de 10 à 20% de propriétaires étrangers,
les autres de 5 à 10% ; le vignoble est toujours bien prisé
mais les prairies et les granges d'élevage ont vu leur importance
croître. La nature des transactions et le type de faire valoir apparaît
encore fort diversifié mais les prises de rentes se sont multipliées
plus vites que les achats (p. 411).
1981 - J.P. LEGUAY, Un réseau
urbain au Moyen Age. Les villes du duché de Bretagne aux XIVe et
XVe siècles, Paris.
Les fortunes des notables sont essentiellement
fondées sur le labeur quotidien, les bonnes affaires (fermes des
impôts, prises d'adjudication des travaux publics, créances)
et les placements sûrs. L'acquisition d'objets de valeur est prisée
mais c'est surtout le foncier qui attire. D'abord l'investissement en ville
avec achat de terrain à bâtir, de " places ruyneuses ", de
maisons de rapport, d'hôtels aussi pour installer les enfants : le
mouvement de concentration des immeubles des villes entre peu de mains
est bien amorcé au milieu du XVe siècle. La recherche de
rentes foncières est un autre placement valable mais il ne faut
pas en exagérer l'importance : pas de transferts massifs de propriétés
ni de dépouillement de la paysannerie et de la noblesse de vieille
souche. Certes l'endettement paysan comme aristocratique existe mais le
processus est lent, parcellisé. Car l'argent reste rare (p. 324
sq).
1982 - M. LE MENE, Campagnes angevines.
Etude économique (vers 1350-vers 1530), Paris.
- effacement précoce, au plus tard dès
le début du XIVe siècle, du faire-valoir direct : les réserves
sont essentiellement tenues en censive, puis surtout baillées à
ferme, la rente est privilégiée ;
- stagnation du patrimoine foncier ecclésiastique
constitué et fixé dès la fin du XIIIe siècle
: quelques acquisitions de fonds apparaissent encore mais les liquidités
disponibles sont surtout investies dans l'acquisition de droits ou dans
le crédit (p. 483);
- l'impécuniosité de la noblesse
angevine offrit aux parvenus l'occasion de se hisser dans la hiérarchie
sociale et le mouvement d'acquisition fut surtout le fait d'officiers ducaux
et royaux qui, par achats de terres et de seigneuries, consacrèrent
leur réussite...Il reste qu'à aucun moment l'ascension de
ces nouveaux venus ne bouleversa l'ordre social car, au total, le nombre
des transactions portant sur des seigneuries ou sur des métairies
distraites du domaine fut limité (p. 498-499) ; la coutume au reste,
n'autorisait les aristocrates à donner ou vendre que la tierce partie
de leurs terres et octroyait aux membres du lignage ou au chef du seigneur
un an et un jour pour effectuer un retrait (p. 495).
Le marché foncier est évidemment
ici considéré dans son sens restreint de transfert de propriété
éminente ; et les nombreuses autres formes d'accession à
la terre rencontrées, sans être négligées, ne
sont pas comprises dans le raisonnement.
1983 - J. GALLET, La seigneurie bretonne,
1450-1680. L'exemple du Vannetais, Publications de la Sorbonne, Paris.
Assurément, le mouvement de reconstruction
de l'économie au sortir des crises de la fin du Moyen Age anime
le marché de la terre. Mais si l'on s'en tient aux achats et ventes,
le volume des échanges reste somme toute mesuré. Les marchands
de Vannes ont certes acheté des terres à des sieurs, des
parents ou des paysans ; les seigneurs ont parfois acheté des terres
en vue de se constituer des domaines d'un seul tenant ; quelques gros laboureurs
de même ; mais peu de choses en somme.
L'essentiel vient du changement de régime
de l'exploitation : beaucoup de seigneurs fonciers lancés dans la
reconstruction de leur patrimoine dévasté, abandonnent la
censive, concèdent leur terre sous le régime du " domaine
congéable " : le fonds " roc nu " reste la propriété
du seigneur foncier, les édifices et superficies sont temporairement
confiés moyennant une rente à un entrepreneur appelé
" domanier ", "édificier".
Certains tenanciers endettés sont obligés
de reprendre leur censive transformés en domaine congéable
: un mouvement d'expropriation du petit paysan Vannetais est lancé
à la fin du Moyen Age.
1993 - D. BARTHELEMY, La société
dans le comté de Vendôme de l'an mil au XIVe siècle,
Paris.
p. 701 : L'engagement, le prêt sur gage
foncier, est une transaction qui doit être considérée
comme une pratique déjà passée dans les moeurs au
milieu du XIe siècle, 5 attestations au XIe, 7 au XIIe siècle,
12 au siècle suivant.... p. 922 : elle ne survit guère à
la condamnation fulminée en 1163 par le concile de Tours (contradiction
? avec le décompte de la page 701 qui en place 8 avant et 16 après
!) remplacé par la vente de rentes constituées, qui apparaît
vers 1200, représente un nouveau moyen de crédit et est incontestablement
liée au nouvel ordre juridique (le règne de la loi écrite
dispense les créanciers de détenir un gage foncier) et à
l'évolution économique (les transactions se multiplient...)
p. 927 : La documentation du XIIIe siècle
abonde en constitutions de rentes par des membres de lignées chevaleresques,
sur des métairies et des moulins...Elles évitent d'aliéner
la terre..
Le " livre des fiefs " de 1355 indique la prédominance
des rentes en nature et à des églises, surtout urbaines...
p. 930 : A partir de 1240-1260... nous trouvons
dans la politique foncière des abbayes du Vendômois, toutes
générations confondues (moines noirs et blancs, moines et
chanoines) la même politique d'affermage ou de bail à moitié
que dans le reste de la France... Les églises - et sans doute en
même temps qu'elles plus d'un seigneur laïc - redeviennent de
pures rentières du sol, mais cette fois de la " réserve "
en même temps que des tenures (et des droits de patronat).
Y aurait-il un recul de la paysannerie...? On
entrevoit plutôt la promotion d'une élite paysanne, celle
des preneurs de bail...Mais y a-t-il beaucoup d'hôtes chassés
et spoliés ? Certainement quelques uns. Signalons toutefois qu'après
tout, rien ne permet de voir dans les hôtes métayers des XIe
XIIe siècles des hommes dépourvus d'autre terre...
p. 960 : ...pour le Haut-Vendômois, les
déconfitures de lignées chevaleresques s'observent surtout
après 1310, comme dans la Picardie de R. Fossie... et comme dans
la Bourgogne de J. Richard. Les reclassements qui s'ensuivent sont en cours
en 1355, mais, en tout état de cause, les diverses strates de la
chevalerie vendômoise contiennent plusieurs lignées déchues
et plusieurs rescapées, et aucune de ces lignées n'accroît
sa fortune et son rang en restant en place.
p. 966 : Les chemins nouveaux de la réussite
sociale.
L'ancienne chevalerie laisse des plumes et quelqu'un
en profite... Des nouveaux venus issus du service, des sergents enrichis,
des bourgeois demeurant en ville ?
p. 967 : ...le plus apparent : la montée
en puissance d'une sorte de patriciat urbain...
p. 991 : ...poussée bourgeoise dans les
décennies centrales du XIVe (1330-1370).
p. 1001 : Au milieu du XIVe siècle, changement
social sans précédent...sans que le principe même d'une
noblesse, d'un ordre seigneurial ne soit atteint...
IV - LES SOURCES ET
LEURS PROBLÈMES
BIAISEMENTS JURIDIQUES :
D. Barthélemy pour le Vendômois
(1993), reprenant une analyse de G. Chevrier sur les chartes de Cluny (1949),
soutient qu'une bonne part des mutations socio-économique de l'an
mil se résume à une modification des comportements scripturaires.
C'est ce qu'il nomme les faux semblants d'une mutation de l'échange
: le formalisme antique, distinguant vente, donation et don, subsiste au
haut-Moyen-Age, s'estompe fortement après 1050 dans la nouvelle
documentation où, l'influence de la pratique coutumière germanique
de l'échange faisant son oeuvre, " le don est devenu le genre anonyme
où s'enchâsse toute opération juridique " (G. Chevrier)...
Mais les " ventes sans prix ", les " ventes " ou les " donations " instituant
un " cens " ne sont pas rares dans la documentation.
BIAISEMENTS SOCIOLOGIQUES
:
Aux XI-XIIe siècles, seules des archives
ecclésiastiques (restitutions et donations) et toujours pas de comptes
comtaux au XIIIe siècle... (A. Chedeville, Chartres ...)
Les établissements ecclésiastiques
n'ont-ils pas bénéficié d'un " prix de faveur " ?
(A. Chedeville, Chartres... )
Mais les transactions établies par le
monastère de Redon aux IX-Xe siècles ne semblent pas être
uniquement de type commercial dans le sens moderne : sans doute d'autres
facteurs, cachés, influaient, la transaction confirmant ou inaugurant
entre les deux parties quelques bénéfices mutuels, quelques
relations continues. (W. Davies, Small worls...)
L'expression de " marché libre " conviendrait
peu aux ventes et aux dons, car retraits lignagers ou féodal et
droits de préemptions sont souvent évoqués. Au delà,
trouve-t-on une " vraie concurrence " ? On n'en a pas le sentiment car
l'inégalité de rang est un handicap, la noblesse a une liberté
qui frise la licence et que le reste de la société n'a pas
; le marché est très orienté par un ordre de préséance
des partenaires... (D. Barthélemy, ...Vendômois...)
BIAISEMENTS ECONOMIQUES
:
Le poids des charges grevant le revenu des terres,
d'une grande diversité, devait retentir sur le prix de vente
(A. Chedeville, Chartres ...)
Il faudrait savoir si la hausse du prix de la
terre ne fut pas contenue par la rareté du numéraire (A.
Chedeville, Chartres...) L'argent était difficile à trouver
et le volume des transactions était de cette manière limitée.
(W. Davis, Small worlds...).
REPRESENTATIVITE MEDIOCRE
:
En pays chartrain, 173 transactions utilisables
pour le XIIIe fournissant superficie et prix
(A. Chedeville, Chartres... )
Dans les campagnes angevines, 125 actes de mutation
foncière utilisés entre 1360 et 1510
(M. Le Méné, Campagnes angevines...).
Le rapport entre cens et prix de vente est directement
estimable dans sept cas (D. Barthélemy, ...Vendômois...)
OPACITE METROLOGIQUE :
Le setier à la fin du XVIIIe siècle,
vaut entre 39,6 et 59,4 ares (A. Chedeville, Chartres...)
V - TYPOLOGIE DES TRANSACTIONS
FONCIERES.
VENTE & DONATION :
certes des termes en vigueur au Moyen-Age mais, au moins jusqu'à
la fin du XIIIe siècle, ils renvoient à des réalités
différentes de celles de l'économie de marché stricto
sensu. Il s'agit sans doute de transferts de biens, moyennant une somme
d'argent ou un service religieux. Seulement ils n'apparaissent jamais intégraux
mais fondés sur une certaine précarité même
si celle-ci est instituée à perpétuité : s'ils
portent sur la propriété, ils instaurent toujours un usufruit,
génèrent ainsi des liens, sous la forme de prestations diverses
et selon des mécanismes variés entre les deux parties, le
concédant gardant toujours quelque chose du bien.
CENSIVE : l'exemple
le plus ancien connu est antérieur à 986 mais son développement
date du XIIe siècle. Le montant, en numéraire, est fixé
et instaure l'hérédité de la tenure. La valeur du
cens est en rapport avec la valeur de la terre mais c'est de moins en moins
un revenu, de plus en plus la traduction d'un pouvoir.
La sous-tenure se développe et le décalage
entre le prix du loyer et le revenu effectif de la terre augmente.
HOSTISE : les hôtes
des villages neufs pouvaient vendre ou engager leur lot, mais parfois seulement
à un membre de leur famille où à l'un des co-seigneurs,
ou à un tiers pourvu qu'il réside dans la villa, à
un prix fixé par six arbitres (A. Chedeville, Chartres...,p. 117
sq.).
DOMAINE CONGEABLE
: en Bretagne vannetaise à la fin du Moyen Age et aux Temps Modernes
: le fonds " roc nu " reste la propriété du seigneur foncier,
les édifices et superficies sont temporairement confiés moyennant
une rente à un entrepreneur appelé domanier, édificier
(J. Gallet, La seigneurie bretonne.., p. 208).
MAIN-FERME : contrat
confiant une terre à un paysan en vue de son exploitation. Viager,
souvent à deux vies, l'acquéreur désigne son héritier
; le sens est recognitif, fixé. Possibilité pour le locataire
de vendre ou donner sa main-ferme à condition que le propriétaire
reçoivent les droits de vente et continue de percevoir le cens (A.
Chedeville, Chartres..., p. 117 sq ; D. Barthélemy, Vendômois...
p. 44 sq).
MORT-GAGE : à
partir du XIIe siècle, un système de crédit se développant
fortement, des institutions ecclésiastiques aux aristocrates endettés,
conciliant économies domaniale et monétaire. Il s'agit de
l'engagement d'une somme garantie sur un bien ou un revenu dont le prêteur
a la jouissance en guise d'intérêt le temps de la créance
; au terme échu, le gage est perdu si l'emprunteur n'a pas remboursé
le capital (A. Chedeville, Chartres..., p. 463) ; Le prêt sur gage
foncier doit être considéré comme une pratique déjà
passée dans les moeurs au milieu du XIe siècle, remplacé
par la vente de rentes constituées, vers 1200 (D. Barthélemy,
Vendômois... p. 701 sq).
ARRENTEMENT : instrument
de crédit par l'établissement d'une rente en échange
d'une somme d'argent (A. Chedeville, Chartres..., p. 117 sq).
Ainsi en 1199, Etienne Flohier, bourgeois de
Chartres, confie à perpétuité à 8 individus
des terres à charge de 7 sous 2 deniers, plus 21 deniers et obole
de cens primitif qu'ils devront à Saint Perre. Il est en outre convenu
qu'Etienne léguera les 7 sous 2 deniers à l'abbaye pour qu'elle
assure son anniversaire. Ainsi le tenancier était maître de
l'immeuble au point de pouvoir le vendre, le donner ou même l'engager
pourvu que le versement du cens ne soit pas compromis. (A. Chedeville,
Chartres..., p. 242).
Remplace le mort-gage vers 1200 et ce nouveau
moyen de crédit est incontestablement lié au nouvel ordre
juridique (le règne de la loi écrite dispense les créanciers
de détenir un gage foncier) et à l'évolution économique
(les transactions se multiplient...) (D. Barthélemy, Vendômois...
p. 701 sq).
RAQUIT : vente d'une
terre avec clause de rachat en remboursant l'acquéreur du prix d'achat
et des frais (J. Gallet, La seigneurie bretonne.., p. 208). |
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